Rentrée : sauts d’obstacle

Sur fond de récession et de plans sociaux, le gouvernement devra faire face à l’épineuse question de la ratification du pacte budgétaire européen et à plusieurs concertations sociales.

Thierry Brun  et  Michel Soudais  et  Claude-Marie Vadrot  et  Clémence Glon  • 26 juillet 2012 abonné·es

Avant d’être sociale, la rentrée sera politique. Premier rendez-vous du nouveau gouvernement, la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) divise fortement la gauche. Pour le Front de gauche, qui y est opposé, elle constitue un test de la volonté du Parti socialiste et de ses alliés de rompre avec les politiques à l’origine de la crise économique et sociale qui frappe les pays européens et qui ont déjà mis à genoux la Grèce et l’Espagne. Ce traité budgétaire, élaboré par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, qui l’ont signé le 2 mars, place les budgets des États sous surveillance constante ; il les contraint à un déficit structurel maximal de 0,5 % du PIB, la fameuse « règle d’or », sous peine de sanctions automatiques ; il leur fait obligation de mettre en œuvre les recommandations de la Commission européenne.

Durant sa campagne, François Hollande avait promis de renégocier ce traité – c’était son onzième engagement – « en privilégiant la croissance et l’emploi, et en réorientant le rôle de la BCE dans cette direction ». C’est pourtant un traité inchangé que le président de la République souhaite voir ratifier dans les plus brefs délais. Le texte pourrait être soumis au Parlement avant la fin septembre, a annoncé le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le 17 juillet. Auparavant, le Conseil constitutionnel doit dire d’ici au 15 août s’il faut modifier la Constitution en préalable à cette ratification. Pour la plupart des juristes, le gouvernement ne pourra pas faire l’économie d’une révision constitutionnelle et des risques politiques qu’une telle procédure comporte. « En droit pur, constate le socialiste Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, il paraît difficile de constater que le TSCG ne porte pas atteinte aux “conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale”. »

Une telle révision ne nécessiterait pas de modifier le texte fondamental de la Ve République si ce traité budgétaire peut être considéré comme résultant du traité de Lisbonne. Mais, note le député, « juridiquement, le TSCG ne relève pas du droit européen puisque, faute d’accord du Royaume-Uni et de la République tchèque, il s’agit d’un traité signé par seulement 25 membres sur les 27 que compte l’Union. Il n’est donc pas couvert par le titre XV de notre Constitution, par lequel la France consent aux transferts de compétences au bénéfice de l’UE ». Difficile, dès lors, de ratifier ce traité à la sauvette comme François Hollande en caressait l’espoir après le Conseil européen des 28 et 29 juin. D’autant que le Front de gauche est prêt à partir en campagne pour réclamer un référendum – l’Humanité a lancé le 20 juillet une pétition en ce sens – et informer sur les tenants et aboutissants d’un texte qui n’a rien d’anodin.

François Marc, rapporteur général PS du budget au Sénat, en convient : il souligne que « les implications [de ce traité] sont réelles non seulement en termes de procédure budgétaire mais aussi d’équilibres institutionnels », et insiste sur le fait que « les contraintes que la Commission et le Conseil pourront imposer aux États seront fortes ». Elles pèseront dès la préparation du budget 2013.

Le débat autour de cette ratification a toutes les chances d’animer le congrès du PS à Toulouse fin octobre. Après examen des vingt contributions générales déposées pour la première phase de discussion, c’est la seule vraie divergence qui subsiste entre la majorité et la gauche du PS. Si Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault ont réussi à verrouiller d’entrée de jeu la discussion en obtenant que tous les ministres et la plupart des grands élus du PS se rangent derrière leur contribution commune, s’ils peuvent encore caresser l’espoir de fusionner la quasi-totalité des contributions en une grosse motion, il est peu probable qu’ils empêchent le dépôt d’une motion de gauche concurrente. Dans le cas où Benoît Hamon accepterait le 12 septembre de « rentrer dans le rang », comme le lui a demandé le Premier ministre, Marie-Noëlle Lienemann a déjà fait savoir qu’elle était déterminée à présenter une motion concurrente.

Austérité budgétaire

Le gouvernement s’est employé dès le mois de juillet à détricoter les mesures emblématiques du quinquennat de Nicolas Sarkozy dans le budget rectificatif pour 2012, en particulier la TVA « sociale » et les exonérations liées aux heures supplémentaires, qui ont été supprimées. Le budget pour 2012 doit aussi contenir le déficit public en augmentant de 7,2 milliards d’euros les impôts et en gelant 1,5 milliard de dépenses. Une contribution exceptionnelle sur la fortune, que paieront les contribuables possédant un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros, a été adoptée dès le mois de juillet, et devrait rapporter 2,3 milliards d’euros. Ce premier collectif budgétaire a certes reçu le soutien des groupes de gauche au Parlement (Front de gauche, écologistes et radicaux de gauche), mais le gouvernement a reculé sur l’engagement présidentiel de créer une tranche d’impôt à 75 %, une mesure repoussée à l’automne dans le cadre du débat budgétaire pour 2013. Les parlementaires du Front de gauche ont déjà indiqué qu’ils réservaient l’essentiel de leurs propositions et de leurs critiques pour ce débat budgétaire, qui accentuera l’austérité prônée par le pacte budgétaire européen. Austérité tant budgétaire que salariale, qui plonge les pays de la zone euro dans la récession.

Plans sociaux

Pas de répit pour le gouvernement, qui est confronté à de nombreuses menaces sur l’emploi, dans tous les secteurs. Le couperet est déjà tombé chez Hewlett-Packard (520 postes) et Conforama (288 postes). Et, à la suite du choc de la suppression programmée par le constructeur automobile PSA de 8 000 postes en France, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a présenté le 25 juillet un plan d’aide à la filière automobile. Celui-ci passera par un « soutien massif » aux véhicules « innovants et propres », et par une optimisation du crédit impôt recherche, aide fiscale destinée aux entreprises. Après la relative accalmie estivale, le rythme des plans sociaux pourrait s’accélérer à la rentrée. Air France devrait supprimer plus de 5 000 postes d’ici à décembre 2013, Bouygues et SFR près de 1 600 à l’automne, et, dans d’autres secteurs, des dépôts de bilan significatifs sont à craindre. Selon un calcul du quotidien le Monde, 84 entreprises sont concernées, correspondant à 60 000 emplois menacés. Les syndicats évoquent des chiffres supérieurs. Le gouvernement doit présenter à l’automne un train de mesures pour éviter la « casse sociale » dans le secteur des télécommunications. Mais pas question de prendre des mesures d’urgence pour limiter les licenciements, comme le réclament des syndicats et des partis de gauche. Une proposition de loi des parlementaires du Front de gauche sur les licenciements boursiers a été déposée en juillet et reprend un texte présenté par les sénateurs du groupe communiste, qui avait été repoussé le 16 février par une très courte majorité, mais voté par les sénateurs socialistes. Les députés espèrent en débattre lors de la session parlementaire d’octobre.

Réforme de l’emploi

Pour réduire le nombre de chômeurs, le Parlement se saisira dès octobre du projet de loi visant à créer 150 000 emplois d’avenir. Mais la méthode « douce » de la concertation prônée par le gouvernement sera mise à rude épreuve sur les dossiers de l’emploi et des salaires, le Medef ayant déjà exprimé sa position sur ces dossiers : baisse du coût du travail et flexibilité renforcée. L’organisation patronale est déjà sur le pied de guerre pour préparer la grande négociation de la rentrée sur l’emploi et le marché du travail. Le Medef y défendra aussi le principe d’une baisse des cotisations sociales, compensée par une hausse de la TVA et de la CSG, cette dernière ayant la faveur du gouvernement. Celui-ci mettra sur la table des négociations, à partir du 21 septembre, le sujet de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle, qui abordera, entre autres, la question du temps partiel. En ce qui concerne l’emploi public, le gouvernement a estimé que la stabilisation des effectifs de fonctionnaires signifiait la fin de la révision générale des politiques publiques (RGPP), contestée par les syndicats de fonctionnaires. Les prévisions budgétaires pour 2013 ont fixé un objectif de 2,5 % de réduction des effectifs de l’État, excepté dans l’enseignement, la police, la gendarmerie et la justice. Les dépenses de fonctionnement devront baisser de 7 %. Les syndicats ne manqueront pas de rappeler cette situation lors de la concertation pour établir un diagnostic des politiques passées en matière, notamment, de rémunération.

Refondation de l’école

Comme tout bon élève, le gouvernement a chargé son emploi du temps de rentrée. Après la concertation estivale autour de la refondation de l’école, Vincent Peillon devra présenter à l’automne une loi d’orientation comportant des mesures concrètes destinées à réparer un secteur saccagé par les années Sarkozy. L’enseignement supérieur occupera le devant de la scène politique à la fin du mois d’octobre. Présidées par Françoise Barré-Sinoussi, lauréate du prix Nobel de médecine en 2008, les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche se pencheront sur les questions de la réussite des étudiants, de la loi sur l’autonomie (LRU) et de la place accordée à la recherche. La phase de consultation nationale a été lancée le 11 juillet par Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Livret A

En ce qui concerne le logement, premier poste de dépenses des Français, la feuille de route de la ministre Cécile Duflot, présentée en juillet, souffrira d’un handicap majeur : l’absence de moyens pour le financement du logement social. La ministre a certes obtenu le gel des loyers pour 38 agglomérations à compter du 1er août, mais pas le doublement du plafond du Livret A pour financer la construction de logements sociaux et porter à 150 000 le nombre de constructions par an. Cette réforme a été repoussée au mieux à la rentrée, ce qui réduit la portée des mesures présentées par la ministre du Logement. Les organisations syndicales ont fait savoir au gouvernement qu’elles veulent être entendues dans le cadre de la préparation de la future loi-cadre sur le logement promise pour le premier trimestre 2013.

Transition écologique

La conférence environnementale et de « la transition écologique », annoncée par François Hollande avant son départ pour Rio, se tiendra les 14 et 15 septembre. Elle aura lieu désormais tous les ans. Pour les associations environnementales, inquiètes face aux hésitations des socialistes, elle représente une dernière chance d’effacer l’échec du Grenelle de l’environnement. Tout le monde est invité, ce qui annule la sélectivité du précédent gouvernement, qui pénalisait les associations locales ou régionales. Le réseau Sortir du nucléaire paraît être la seule organisation refusant de participer. Pourtant, les questions énergétiques, y compris le nucléaire, sont cette fois au programme des discussions. Elles constituent même l’une des priorités affichées. Doit également être abordée la question du financement des bénévoles associatifs. Englués dans le redressement productif (et productiviste), les socialistes n’ont pas fini de slalomer entre les Verts et les associations. Il se murmure que le dossier du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes devrait être « réglé » avant la conférence…

Politique
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