Le traité de la discorde
La décision de François Hollande de ratifier le traité budgétaire européen signé par Nicolas Sarkozy divise la gauche et les écologistes. Obligeant Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault à menacer les récalcitrants, tandis que le Front de gauche organise une « mobilisation générale ».
dans l’hebdo N° 1216 Acheter ce numéro
À Poitiers, à La Rochelle,
à Grenoble e t à
Toulouse, il a beaucoup
été question de lui. Le
Traité sur la stabilité,
la coordination et la gouvernance
au sein de l’Union économique
et monétaire (TSCG),
dont le Conseil constitutionnel a
autorisé, le 9 août, la ratification
sans révision de la Constitution,
trouble les socialistes et divise les
Verts. Ce « traité budgétaire »,
que François Hollande n’est pas
parvenu à renégocier contrairement
à l’un de ses engagements
de campagne, impose aux États
membres de la zone euro un déficit
structurel maximal de 0,5 %
du PIB. C’est la fameuse « règle
d’or » qui menace de sanctions
automatiques et place les budgets
sous surveillance constante de la
Commission européenne, instance
dont les États s’engagent à mettre
en oeuvre les recommandations.
Inacceptable pour toutes les composantes
du Front de gauche et
l’association Attac, qui réclament
un référendum en lieu et place de
la ratification parlementaire expéditive
programmée par le gouvernement,
début octobre.
L’association altermondialiste,
qui tenait sa traditionnelle université
d’été dans la ville rose,
a adressé dimanche un courrier
à la trentaine d’associations, de
syndicats et de partis politiques
qui composent le Collectif pour
un audit citoyen de la dette
publique afin de proposer « le
lancement d’une campagne commune
contre la ratification » du
TSCG. Avec des meetings unitaires
partout en France, l’envoi
de courriers citoyens aux députés
et aux sénateurs, des actions de rue
devant les permanences des élus…
Cette « campagne éclair, explique
Aurélie Trouvé, sa coprésidente,
est destinée à imposer un débat sur
l’Europe à une majorité présidentielle
qui semble pressée de tourner
la page de la ratification ».
Forcer le débat, c’est aussi l’intention
du Front de gauche, qui
alerte, depuis le sommet européen
de décembre 2011, contre
la « camisole » imposée par ce
« traité Merkozy » . Les responsables
de cette coalition, pas
mécontents d’apprendre que la
ratification au Parlement n’aura
lieu finalement qu’à la session
d’octobre, entendent bien se
servir de ce délai supplémentaire.
Ils ont mis à profit leurs « Estivales
citoyennes », organisées sur le
campus de Grenoble, pour affûter
leurs arguments et « engager
une mobilisation nationale et
générale contre la ratification du
pacte budgétaire européen » . Les
nombreux ateliers organisés sur
les questions européennes ou la
politique économique, ainsi que
le meeting européen qui rassemblait
samedi des élus portugais,
espagnols, italiens et allemands,
ont été particulièrement suivis.
Ni les salles trop petites, ni la
chaleur moite et étouffante qui
y régnait parfois – il faisait 31 °C
dans celle où était organisé un
« atelier de lecture » du traité –
n’ont découragé des participants
regonflés à bloc contre un texte
qui institue l’austérité et étouffe
la démocratie par une « centralisation
des leviers de pouvoir mis
à l’abri des citoyens » , selon l’analyse
de Francis Wurtz, l’ex-président
du groupe GUE/NGL au
Parlement européen. Et même si
le temps est compté d’ici à une
ratification qui ne devrait être
qu’une formalité pour le gouvernement,
aucun des responsables
rencontrés le week-end dernier
ne s’avoue vaincu. « Il peut se
passer beaucoup de choses » ,
espère Pierre Laurent, qui cite plusieurs
événements susceptibles de
changer la donne. Ainsi, le 12 septembre,
la Cour constitutionnelle
allemande rend son jugement sur
le traité ; le même jour se tiennent
des législatives aux Pays-Bas et,
selon les sondages, le Parti socialiste
(gauche radicale) pourrait
arriver en tête ; le 15, c’est un
mouvement social en Espagne ;
en Grèce, rien n’est réglé, d’où la
tournée de Samaras dans les capitales
européennes, etc.
« Qu’on accepte un débat loyal
et qu’on arrête de mentir aux
Français », réclame le numéro
un communiste, à l’unisson des
autres dirigeants du Front de gauche. Comme tous, Jean-Luc
Mélenchon observe avec attention
les débats qui agitent le PS et EELV,
et appelle les opposants au texte
dans ces formations à « ne céder
en rien ». Évoquant la nécessité
d’« une sorte de comité national
pour le référendum » , le candidat
du Front de gauche à la présidentielle
s’est adressé dimanche « à
tous ceux qui à gauche veulent
s’opposer [au traité et
demandent un référendum],
personnes,
organisations, associations,
syndicats »
pour les inviter « à une
manifestation nationale
à Paris venant
de tout le pays » , fin
septembre, afin de
« montrer la force qui
dit “non” ».
Pour l’heure, celle-ci
s’exprime encore en ordre dispersé.
Mais assez pour inquiéter
le gouvernement. Au PS, le traité
budgétaire européen fissure la
façade d’unité présentée par les
socialistes depuis l’élection de
François Hollande. Et a quelque
peu animé les débats à l’université
d’été de La Rochelle. Au premier
soir de ce rendez-vous de rentrée,
devant des journalistes conviés à
déguster huîtres et vin blanc au
Muséum d’histoire naturelle, c’est
la première secrétaire elle-même
qui a ouvert les hostilités : « Cette
décision sur le pacte européen est
une décision majeure, a martelé
Martine Aubry, et si certains ne
sont pas d’accord là-dessus, ça
veut dire qu’ils ne sont pas d’accord
avec la politique qui va être menée.
[…] Si j’étais au gouvernement et
que je ne partageais pas une décision
aussi importante, j’en tirerais
moi-même les conséquences. »
Derrière l’ « avis personnel » (sic),
la mise en garde vise clairement
les membres du courant de Benoît
Hamon « Un monde d’avance »
(21 députés). Comme Razzy
Hammadi, député de Seine-Saint-
Denis, qui annonçait, quelques
jours plus tôt, son intention de ne
pas voter le traité. Il n’est pas le
seul. « Malgré l’apparence d’unité,
énormément de députés sont
contre », confie un chevènementiste
qui estime que l’idée même
de respecter un objectif chiffré de
déficit, dans ce contexte de crise,
participe d’une « croyance collective
plus forte que la réalité » .
« Je ne comprends pas comment
nous pourrons respecter nos engagements
auprès des Français si
les investissements continuent
d’être comptabilisés dans la
dette , lâche Barbara Romagnan,
députée socialiste « hamoniste ».
Sans compter que le texte constitue
un vrai déni
de démocratie » ,
ajoute l’élue du
Doubs, éberluée
par l’inflexibilité
d’Aubry.
« L’enje u du
moment, ce n’est
pas la discipline, la
réaction d’Aubry
est disproportionnée
» , poursuit
Jérôme Guedj,
député de l’Essonne. En voulant
étouffer le débat, « on abandonne
la dimension de pluralité de la
gauche socialiste à Mélenchon et
ce n’est pas souhaitable » , grogne
celui qui était, il y a quelques
années, l’assistant parlementaire
du fondateur du Parti de gauche.
Reste à savoir si les « anti-traité »
iront jusqu’au clash en interne…
Pour l’instant, rien n’est moins
sûr. « Vaut-il mieux qu’on soit
vingt-et-un à voter contre ou le
double à s’abstenir ?, s’interroge
Barbara Romagnan. Le traité est
fondamentalement mauvais, mais
nous ne voulons pas poser un acte
de défiance par rapport au PS. »
D’autant qu’à l’image de leur
leader, plusieurs « hamonistes »
sont déjà, bon gré mal gré, rentrés
dans le rang. Il ne faudrait
pas lâcher la proie pour l’ombre,
explique en substance Olivier
Dussopt, député de l’Ardèche. Son
« arbitrage » en faveur du texte ?
La règle d’or n’est plus inscrite
dans la Constitution, justifie-t-il,
et il faut par-dessus tout sauver
le « volet croissance » imposé à
Merkel par Hollande. À ses côtés,
Charlotte Brun, nommée secrétaire
nationale par Aubry, opine
du chef, tout en reconnaissant que
chez les Verts, comme au PS, « le
scepticisme est plutôt sain » .
Les « pro » comme les « anti » traité
ont la hantise de raviver les vieux
démons. Pas question de revivre un scénario à la 2005, lorsque
s’était installée une ligne de fracture
ravageuse pour le parti à la
suite du référendum sur le traité
constitutionnel européen (TCE).
« Il n’y a pas de clivage » , assure
étonnamment Jérôme Guedj.
Même minimisation d’Élisabeth
Guigou lors d’une conférence sur
l’international :
« Le traité budgétaire,
bien sûr que
nous ne l’aimons
pas, convenait-elle
devant une salle
bien sage. Mais
ne [lui] donnons
pas plus d’importance
qu’il n’en a. C’est un héritage malheureux [du
quinquennat de Sarkozy, NDLR]
mais il faut le ratifier. » « On n’engrangera
pas le paquet croissance
sans le traité, plaide Guillaume
Bachelay, député fabiusien qui
avait voté « non » au TCE. [En
Europe], Hollande est dans un
rapport de force avec des courants
libéraux majoritaires, ce
n’est pas en ce moment qu’il faut
l’affaiblir. »
Reste que chez les militants de la
base l’incompréhension existe,
indique Barbara Romagnan. Et
la dissension entre les « nonistes »
et les « ouiistes » est loin d’avoir
été réglée. En témoigne la houleuse
séance consacrée au « redressement
de l’économie », rassemblant
à la même table Pierre Moscovici,
ministre de l’Économie, et Marie-
Noëlle Lienemann. « Le débat
sur le traité budgétaire européen,
c’est de savoir si
oui ou non, avec
un petit complément
de croissance,
on continue
comme ça, a
raillé la sénatrice
sous des applaudissements
nourris. François Hollande
a estimé que le compromis était
celui de juin. Mais depuis juin,
vous ne voyez pas que les esprits
ont changé ? Tous les jours qui
passent, l’Allemagne est disqualifiée.
Pourquoi nous précipitons-
nous ? » , s’est-elle emportée,
« mettant le feu » à une bonne
moitié de l’immense salle bondée.
Dans ce contexte, le rappel à
l’ordre de Jean-Marc Ayrault
aux ministres et aux parlementaires
– « Lorsqu’une décision
aussi importante est prise, elle doit
être respectée. […] Le Président
et le gouvernement ont besoin
de l’appui clair et solidaire de la
majorité » – dans les colonnes du
Journal du dimanche n’est pas
de nature à calmer la tension.
D’autant que pour n’oublier personne
le Premier ministre a également
rappelé à l’ordre ses alliés
écolos sur un ton de caporal : c’est
« à une campagne et un combat
communs avec les socialistes »
qu’ils « doivent » leurs groupes
parlementaires, et ils doivent comprendre
« ce que signifie la participation
gouvernementale » et « ce
que signifierait l’ouverture d’une
crise européenne aujourd’hui » .
La réplique d’Europe Écologie-Les
Verts n’a pas tardé : « Après cinq
longues années d’un autoritarisme
assumé à la tête de l’État » , la
« nouvelle pratique républicaine »
engagée avec l’élection de François
Hollande, « doit être fondée sur
le dialogue et l’écoute, en aucune
manière sur les seuls arguments
d’autorité, quelle qu’en soit l’origine
», écrit Pascal Durand, son
secrétaire national, dans une
déclaration.
Le successeur de Cécile Duflot à la
tête d’EELV s’y plaint également
de « la difficulté à poser sereinement
en France les termes d’un
débat démocratique transparent
sur la construction européenne,
les orientations politiques, économiques
et sociales prises au
sein de l’UE » . Un regret qui,
pour certains, vise également la
manière dont Daniel Cohn-Bendit a lancé le débat aux journées d’été
du mouvement tenues du 20 au 22
août à Poitiers. Selon son habitude,
l’eurodéputé, ardent défenseur
du TSCG, dont il juge que
les petites avancées qu’il contient
sont bonnes à prendre et pourront
servir de socle à la maîtrise des
marchés financiers, s’est chargé
d’interpeller ses camarades dans
un entretien musclé publié la veille
de ce rassemblement. Avant de le
pimenter de réflexions acides à la
terrasse des cafés à l’encontre de
ses détracteurs. Ainsi le député
François de Rugy a-t-il été qualifié
de « petit con » après avoir
considéré que le traité était « un
remède pire que la mal ». Quant à
l’eurodéputée Eva Joly, favorable
à un référendum, il a tout bonnement
suggérer de la renvoyer en…
Norvège (voir p. 4).
Le point de vue du fondateur
d’EELV est toutefois loin de faire
école. À l’applaudimètre des journées
d’été du mouvement, où les
échanges sont très libres, il ne faisait
pas de doute que les avancées
du traité sont jugées mineures par
une majorité de militants d’EELV.
Cette opposition de principe
n’est pas une surprise. Au-delà,
elle joue un rôle tactique pour les
écologistes désireux de tester leur
alliance avec le PS, près de quatre
mois après la victoire de Hollande
et leur entrée au gouvernement.
Sont-ils en mesure de peser sur ses
options, ou à tout le moins d’exercer
leur solidarité avec une certaine
dose d’indépendance ? Entre 1997
et 2002, Dominique Voynet, Guy
Hascoët et Yves Cochet, membres
de l’équipe Jospin, avaient accepté
d’avaler de nombreuses couleuvres
socialistes. En 2012, avec des
groupes parlementaires au Sénat
et à l’Assemblée, le rapport de force
est différent. Ce sont d’ailleurs leurs
deux présidents, François de Rugy
et Jean-Vincent Placé, qui, début
août, ont pris position contre le
traité.
Il est toutefois trop tôt pour préjuger
de l’attitude finale des élus
écologistes. Le parti lui-même
entend poursuivre le débat interne
jusqu’au conseil fédéral des 22 et
23 septembre, qui « se prononcera
dans un esprit résolument
fédéraliste sur ce qui lui semblera
être la meilleure solution pour
contribuer à l’avancée vers une
Europe plus fédérale, plus solidaire
et plus écologiste » , a rappelé
Pascal Durand. Mais d’autres
sujets de mécontentement, comme
les déclarations de Montebourg
sur le nucléaire ou un Grenelle
de l’environnement à la sauce
Hollande, mi-septembre, pourrait
influer sur leur décision.
Une décision que le Front de
gauche, les associations comme
Attac ou les syndicats (CGT,
Solidaires, FO) vont tenter d’influencer
de multiples manières.
Lundi, l’Humanité publiait un
sondage indiquant que 72 % des
Français souhaitent être consultés
par référendum.