Les 12 travaux de Vincent Peillon
D’une refonte de la carte scolaire à la formation des professeurs, la communauté éducative attend une politique rompant clairement avec les cinq années écoulées.
dans l’hebdo N° 1216 Acheter ce numéro
Pour marquer sa différence avec l’ancien gouvernement, Vincent Peillon mise sur l’écoute. Jusqu’à la fin du mois de septembre, les six cents personnes conviées à la concertation sur la refondation de l’école reviendront sur les principaux objectifs que celle-ci doit se donner. Un vaste débat – trop peut-être – qui doit aboutir à un projet de loi avant la fin octobre. Parmi les nombreuses questions sur lesquelles le nouveau ministre de l’Éducation devra se prononcer, en voici douze qui nous semblent prioritaires.
Les âges de l’école obligatoire
Xavier Darcos estimait que la première année de maternelle servait à « changer les couches » . Mais l’école pré-élémentaire, démocratisée après guerre, a prouvé son efficacité dans la prévention de l’échec scolaire. Las, en douze ans, le taux de scolarisation des enfants de 2 ans, pourtant enjeu fort de l’égalité scolaire et sociale, est passé de 34,8 % à 11,6 % (en 2011) : « Aux rentrées 2008 et 2009, la baisse a été proche de trois points » , a constaté le Snes, qui s’est battu contre le plan de Nadine Morano (ex-secrétaire d’État à la famille) visant à développer les jardins d’enfants (payants) pour les 2-3 ans. À l’inverse, François Hollande a fait part de son intention de tripler le nombre d’enfants de moins de 3 ans en maternelle.
Sur l’âge de sortie de l’école, le clivage droite/gauche est tout aussi fort. La loi Cherpion de juillet 2011, qui sera bientôt abrogée par le gouvernement Ayrault et qui autorise les élèves à quitter l’école dès 14 ans pour partir en apprentissage, a constitué « un retour en arrière de près de cinquante ans » , s’est alarmée la FSU, rappelant que « les systèmes les plus performants offrent à leurs élèves une scolarité commune le plus longtemps possible ».
Les devoirs à la maison
Depuis 1956, une circulaire interdit les devoirs à la maison en classe de primaire, mais ils ont la vie dure. Ils participent pourtant à creuser les inégalités, la réussite scolaire dépendant de plus en plus du niveau social des parents. « Nous sommes face à une sous-traitance pédagogique déléguée aux familles » , estime Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE, qui milite pour qu’une loi mette réellement fin aux devoirs à la maison tels que conçus aujourd’hui. « Si on veut que la lecture devienne un plaisir , poursuit Jean-Jacques Hazan, il faut laisser aux enfants le temps de s’intéresser à des savoirs moins académiques. » (Voir aussi, sur cette question, la rubrique « Clivage », p. 14.)
L’orientation
C’était la bête noire du gouvernement Fillon qui voulait faire des conseillers d’orientation psychologues (COP) des agents de placement de futurs travailleurs : « Il y a eu clairement une volonté de soumettre l’école, a fortiori l’orientation, au monde de l’entreprise tel que défini par le patronat, souligne Dominique Hocquard, président de l’Acop-F (Association des COP de France). Or, l’orientation scolaire doit servir les ambitions de l’élève » . La RGPP a touché durement la profession, faisant passer en cinq ans le nombre de COP titulaires de 4 500 à 2 000. Une quinzaine de centres d’information et d’orientation (CIO) (sur environ 500) ont fermé en deux ans…
L’orientation sera-t-elle mieux considérée sous la gauche ? Dominique Hocquard ne se fait guère d’illusions : « Certainement, mais le danger est que, faute de recrutement, les missions des COP soient resserrées sur l’accompagnement des élèves en difficulté – handicap, échec… – alors que tous les jeunes ont besoin d’être aidés pour construire leur avenir ».
Autre motif d’inquiétude : la volonté du ministère d’associer les Régions, compétentes sur la formation professionnelle, à l’orientation initiale. Le président de l’Acop-F y voit un risque de sortir l’orientation du giron de l’État, pourtant seul garant de son indépendance pour être au service des élèves et de leur famille. Jean-Paul Serre, inspecteur de l’Éducation nationale chargé de l’information et de l’orientation, se montre plus mesuré, « si toutefois on laisse à la Région l’organisation de la coordination entre les différents acteurs de l’orientation, et que les CIO continuent de répondre aux seuls objectifs fixés par l’Éducation nationale ».
L’accompagnement individualisé
Les Réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased) ont été mis à mal dès l’application des réformes Darcos. Pas moins de 50 % des postes d’enseignants spécialisés intervenant en Rased ont ainsi été supprimés. Une circulaire de juin 2008 prétendait remplacer ces réseaux par une aide personnalisée instituant deux heures hebdomadaires de soutien. Or, explique Maryse Charmet, présidente de la Fédération nationale des associations de rééducateurs de l’Éducation nationale (Fnaren), « cette aide entraîne une stigmatisation des élèves dans la mesure où elle se fait en dehors des temps d’école ; les enfants sont isolés dans un petit groupe et cela allonge leur journée, alors qu’ils sont déjà fragilisés » . François Hollande a regretté que les Rased aient été « rayés de la carte » et a promis la réouverture d’une centaine de postes. La Fnaren réclame une meilleure formation des intervenants et des adaptations en fonction des spécificités territoriales.
La filière professionnelle
C’est sans doute sur la filière professionnelle, où se concentrent les classes populaires et les élèves en échec, que le sarkozysme a le plus usé du double discours : chantant les louanges de l’apprentissage, le va-t-en-guerre contre le décrochage ôtait dans le même temps – et dans l’indifférence quasi générale – une année entière de cours aux lycées professionnels. Depuis la rentrée 2009 et la suppression du BEP, le bac pro se prépare en trois ans au lieu de quatre. Conséquence : un taux d’abandon en augmentation entre la seconde et la première pro (en Essonne par exemple, il frôle les 20 %).
Autre effet des économies réalisées par la droite, les consignes de redoublement a minima ont eu pour effet « l’entrée en lycée pro d’élèves de plus en plus jeunes et immatures, qui en ressortent aussi de plus en plus tôt » , souligne Jean-Paul Serre. Or, comment demander à un ado de 15 ans de s’engager pour la vie dans une voie professionnelle dont il ignore les réalités ? « Il faudrait, en début de lycée professionnel, revenir à une année de découverte des secteurs professionnels avant de se spécialiser, estime l’inspecteur chargé de l’information et de l’orientation, ce qui coûterait moins cher que de récupérer le décrochage. »
Le Sneeta-FO, syndicat de la filière pro, préconise la création de diplômes d’insertion à chaque échelon et l’élévation des qualifications pour que, « surtout en période de crise, la filière forme une main-d’œuvre de haut niveau, dont on sait qu’elle devra s’adapter à plusieurs univers professionnels dans sa vie ».
La carte scolaire
La suppression de la carte scolaire, promesse majeure du candidat Sarkozy en 2007 au nom de la « liberté de choix » , a donné lieu à un énième assouplissement, qui est loin d’être indolore. Si, à l’échelle nationale, l’effet a été limité – les dérogations sont passées de 5 à 8 % –, dans certaines zones, notamment urbaines, un rapport du Sénat[^2] déplore une « aggravation des inégalités » du système éducatif et l’exode des meilleurs élèves des collèges et lycées les plus défavorisés (près de 9 % des élèves scolarisés en « réseau ambition réussite » ont changé d’établissement entre 2006 et 2009).
L’assouplissement « a profité aux familles qui pratiquaient déjà les stratégies de dérogation et qui étaient les plus familières du fonctionnement complexe du système éducatif. Une déréglementation totale du choix de l’établissement ne pourrait que dégrader encore la situation relative des familles modestes » , analyse la sénatrice PS Françoise Cartron, qui note d’autre part que « la réforme de 2007 a légitimé sur le plan symbolique les anciens comportements de contournement de la carte scolaire » , tout en renforçant la croyance en une école à plusieurs vitesses.
Pour Françoise Cartron, la mixité sociale et scolaire doit devenir la pierre angulaire des lettres de mission des recteurs. Elle préconise aussi le redécoupage des périmètres des secteurs de recrutement des élèves, ou le conditionnement des dotations financières. Vincent Peillon a promis de « rétablir » (sic) la carte scolaire, « en cherchant des périmètres qui autoriseront cette mixité scolaire. En même temps, a-t-il convenu, il ne faut pas demander à l’école de résoudre tous les problèmes de la société » .
Le bac en contrôle continu
La droite en avait fait un symbole de l’égalité républicaine. Vincent Peillon, lui, n’est « pas hostile » à intégrer au sacro-saint baccalauréat une part de contrôle continu pour le rendre plus accessible. Malgré l’objectif d’amener 80 % d’une classe d’âge au bac, l’Observatoire des inégalités montrait ainsi, en juillet, que les enfants d’enseignants ont 14 fois plus de chances de l’obtenir que ceux d’ouvriers non qualifiés.
Les notations et exigences n’étant pas les mêmes dans chaque lycée, le contrôle continu pourrait néanmoins renforcer un bac à deux vitesses. La piste du contrôle en cours de formation permettant d’échanger les copies entre établissements est donc évoquée. Le sociologue Michel Fize (le Bac inutile, L’Œuvre, 2012) prône, quant à lui, une modification des apprentissages en amont pour évaluer par la suite les compétences plutôt que le savoir.
Le personnel d’encadrement
Création de 60 000 postes en cinq ans : la promesse phare de François Hollande ne concerne pas seulement les enseignants. Ainsi, 500 assistants chargés de la prévention et de la sécurité (leurs missions restent encore imprécises) feront bientôt leur rentrée, comme 75 conseillers principaux d’éducation (CPE), des auxiliaires de vie scolaire (AVS) et des assistants d’éducation. Objectif affiché : « Augmenter le nombre d’adultes présents dans les établissements scolaires qui en ont besoin » , après cinq années de RGPP qui ont fait fondre la diversité pédagogique. Il faut « des encadrants, des assistantes sociales, des psychologues » , insistait, pendant sa campagne, François Hollande qui déclarait aussi vouloir renforcer la médecine scolaire.
Les évaluations en primaire
À bout de souffle, voire quasiment enterrées. À peine nommé ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon suspendait les remontées nationales au ministère des résultats des évaluations nationales de CM2. Mises en place en 2008 par Xavier Darcos, ces évaluations, qui se tiennent en classe de CE1 et de CM2, étaient présentées comme un « outil de mesure fiable et transparent du niveau des élèves » , et un détecteur préventif au « classement médiocre [des écoles] dans les différentes évaluations internationales » . Rendus publics, les résultats obtenus se transformaient en notation du travail mené et débouchaient, inévitablement, sur un classement implicite.
Certes les évaluations ne sont pas à bannir en tant que telles. « Elles permettent aux enseignants de savoir où en sont les élèves. Mais cet objectif ne nécessite pas une vision exhaustive du niveau des classes du pays », estime Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen-CFDT. Le côté cérémoniel et contre-productif de ces pseudo-examens imposés aux plus jeunes agace le syndicat, qui demande leur révision complète.
La formation des maîtres
Le métier de professeur des écoles n’a plus la cote. En 2009, la réforme de la formation des maîtres n’a pas amélioré l’image de la profession. En supprimant l’année de stage rémunérée après l’obtention du diplôme, les nouveaux enseignants se retrouvent à gérer une classe un peu plus de deux mois après leurs épreuves orales. « Avec cette réforme, la formation professionnelle a été supprimée , explique Patrick Demougin, président de la conférence des directeurs d’IUFM. Sans compter qu’aucune place n’est accordée à la réflexion sur le métier. »
Des discussions sont en cours pour remettre l’apprentissage au cœur de la formation. Les IUFM, eux, pourraient laisser leur place aux Écoles supérieures de professeurs et de l’éducation (ESPE), « rattachées aux universités, mais consacrées à la professionnalisation » , poursuit Patrick Demougin.
Le contenu des programmes
Lorsqu’un gouvernement touche aux programmes scolaires, s’ajoute à la visée pédagogique une dimension symbolique. En replaçant le triptyque « lire, écrire, compter » au cœur de l’enseignement en primaire, Xavier Darcos affichait explicitement son mépris pour la pédagogie. Dans le secondaire, c’est la suppression, en 2009, de l’histoire-géographie comme discipline obligatoire en terminale S qui a le plus marqué les esprits. « Le bac S a toujours été perçu comme la voie royale vers l’enseignement supérieur, considère Albert Ritzenthaler, secrétaire national du Sgen-CFDT. Pourtant, il mérite d’être tout autant spécialisé que le bac L ou ES. Cette décision permettait de rééquilibrer les filières. » Une décision qui devrait être revue par Vincent Peillon.
Au-delà de ces questions précises, la rigidité des programmes ne favorise pas les passerelles entre disciplines. Pour Albert Ritzenthaler, « l’enjeu est de sortir de l’encyclopédisme et de la course liée à l’examen final ».
L’éducation prioritaire
Difficile de s’y retrouver dans le découpage des zones censées concentrer des moyens humains et financiers pour l’éducation. Le programme Écoles, collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite (Éclair), mis en place en 2010 par Luc Chatel, réorganisait l’ensemble de l’éducation prioritaire. Sans en toucher un mot aux professionnels des établissements concernés, l’ancien ministre a redessiné la carte de l’éducation prioritaire et instauré, pour ces écoles, ces collèges et ces lycées, le principe de recrutement par le chef d’établissement. La plupart des syndicats enseignants demandent de revoir cette organisation, qui concentre encore davantage les moyens et introduit des pratiques managériales au sein de l’école.
[^2]: Réguler la carte scolaire : pour une politique ambitieuse de mixité sociale, rapport du Sénat, 27 juin 2012.