Camille redouble : Une histoire à répétition
Camille redouble, de Noémie Lvovsky, est une comédie à la fois poignante et légère sur le passage du temps.
dans l’hebdo N° 1218 Acheter ce numéro
Camille redouble raconte l’histoire d’une femme d’une quarantaine d’années, Camille, qui, par « magie », fait soudain un bond dans le temps et retrouve, dans les années 1980, sa vie de lycéenne, avec ses parents, ses copines et son petit ami, dont elle est en train de divorcer vingt-cinq ans plus tard. Camille redouble, interprétée par la réalisatrice elle-même, Noémie Lvovsky, suit la même trame que Peggy Sue s’est mariée, comédie troublante et réjouissante réalisée en 1985 par Francis Ford Coppola. Sur cette source d’inspiration, Noémie Lvovsky reste discrète. Tout au plus confie-t-elle son goût pour les films de l’auteur de Rusty James [^2]. Cette reconnaissance de dette n’enlèverait pourtant rien à Camille redouble, libre remake parfaitement réussi. La cinéaste retrouve toute la fantaisie du film de Coppola et développe des épisodes originaux bienvenus. Elle parvient aussi, comme son prédécesseur, à teinter son film d’une couleur sombre, tout en lui gardant sa légèreté. A priori, l’idée peut ressembler à un jeu, à une hypothèse plaisante : que ferait-on si l’on avait la possibilité de revenir en arrière ? Puis, très vite et inévitablement, les réflexions graves affluent : comment échapper à son destin ? Comment entraver la marche des événements qui ont par la suite débouché sur des échecs ? Comment faire pour retarder la mort de ceux qu’on aime ? Ces deux mouvements, l’un souriant, l’autre mélancolique, traversent conjointement le film.
Ainsi, Camille atterrit à l’âge de ses 16 ou 17 ans – que Noémie Lvovsky continue à interpréter – en se réveillant dans une chambre d’hôpital, avec à son chevet sa mère (Yolande Moreau) et son père (Michel Vuillermoz). Dans le présent de Camille femme mûre, ses parents sont décédés. C’est pourquoi elle est ravie de les retrouver, et de se couler dans la vie d’ado qui alors fut la sienne. Les moments où la comédie devient vraiment poignante se déroulent entre eux trois. Camille cherche à profiter au maximum de ces moments qu’elle sait éphémères – la mort de sa mère, foudroyante, est imminente –, et à garder des souvenirs dont elle ne disposait pas avant son retour dans le passé. Ce sont des scènes cocasses où, par exemple, Camille enregistre la voix de sa mère et de son père avec son magnétophone. Cette cassette connaîtra un beau destin. Elle traversera le temps grâce à un personnage, un professeur de physique (Denis Podalydès), qui sera le seul à accepter de croire que son élève, dont il est tombé amoureux, est une envoyée du futur. Jolie trouvaille.
Mais, au total, ce qui frappe le plus, dans Camille redouble, relève moins des subtilités de son scénario que de la force de telle ou telle apparition – que celle-ci soit omniprésente ou plus fugitive. C’était ainsi un pari osé, pour Noémie Lvovsky, que d’entrer dans la peau d’une fille de 16 ans, alors que les copines de celle-ci sont interprétées par de jeunes comédiennes : Judith Chemla, India Hair, Julia Faure (Samir Guesmi joue lui aussi les deux rôles, son ex-mari et son petit ami lycéen). Or, ce choix rend l’illusion totalement crédible. Pourtant, c’est bien avec son corps, son physique d’aujourd’hui que la comédienne s’est projetée dans les années 1980 (seuls ses cheveux sont un peu plus courts que dans les scènes des années 2010). Il lui fallait aussi retrouver des comportements d’adolescente, et porter des vêtements style Madonna (jupettes ou collants aux couleurs criardes, blousons très ajustés). Le ridicule pouvait menacer. Ce n’est le cas ni pour le personnage ni pour la comédienne, même si certains effets comiques ne sont pas négligés. Dans ces années 1980 que la cinéaste a reconstituées sans fétichisme, Noémie Lvovsky/Camille réussit à incarner en même temps les deux femmes dont elle est faite : celle d’aujourd’hui et celle de demain (ou d’hier, c’est selon). Un autre comédien réussit également ce prodige : Jean-Pierre Léaud, qui interprète ici un horloger, c’est-à-dire… un maître du temps. Lui aussi cristallise deux époques (de cinéma) : la nôtre, où il est toujours bien vivant, et celle qui le hante sans cesse, les années 1960 et la Nouvelle Vague.
[^2]: Le cinéma de Noémie Lvovsky , entretiens avec Quentin Mével, éd. Independencia, 101 p., 12 euros.