Derrière le Pacte, Ubu

Les services non marchands produisent un quart de la valeur ajoutée.

Jean-Marie Harribey  • 27 septembre 2012 abonné·es

En cette rentrée, les gouvernements préparent une sortie de route en guise de sortie de crise. Et Hollande est copilote avec Merkel. Il avait promis de renégocier le pacte budgétaire. Il l’a entériné. Tout changement véritable est donc corseté, car à l’orthodoxie monétaire s’ajoute celle du budget. C’est de mauvais augure pour toute reconversion de l’industrie vers une transition écologique : comment assurer les investissements publics nécessaires dans un contexte où le respect du pacte obligera à diminuer les dépenses publiques ? Ce sera l’austérité au carré : aujourd’hui et demain. C’est absurde et on se demande ce qui, mis à part l’intérêt de classe, peut bien inspirer les chefs de l’économie et de la politique. Leur dogme est que les dépenses publiques parasitent l’économie marchande, car elles seraient payées par un prélèvement sur cette dernière, seule considérée comme productive. Libérons donc l’économie de cette charge ! Les libéraux les plus cons (le mot est à la mode) disent même que les citoyens travaillent pour l’État plus de la moitié de l’année. Étonnez-vous que se diffuse l’idée : « Ah, oui, on dépense trop ! »

Il faut dire qu’en face, c’est la bérézina. Ou bien le dogme est gobé par les sociaux-néolibéraux et, arrivés au pouvoir, ils l’appliquent. Ou bien la contestation est menée sans colonne vertébrale, avec l’idée, sœur jumelle du dogme précédent, que les services non-marchands (école, hôpital) sont payés par prélèvement sur la plus-value que produisent les salariés du secteur capitaliste. Ce boniment est de « gauche ». Ce n’est pas le seul, car certains bons esprits arguent que désormais c’est la finance qui crée la valeur économique et qu’il faudrait prélever sur le mirage de la Bourse plutôt que sur le travail rangé au musée de la production. Tout cela est un bric-à-brac qui laisse désarmé face au compresseur néolibéral. Les travailleurs des services non-marchands produisent la valeur économique de ceux-ci et lesdits prélèvements obligatoires sont effectués sur un revenu global déjà augmenté de cette valeur : en France, cela représente un bon quart du PIB. C’est la seule ligne de défense forte d’un espace utile socialement et non soumis au profit. Les impôts et cotisations sociales sont le paiement collectif d’une production supplémentaire par rapport à celle des entreprises privées. Alors, pas content, le Capital, d’avoir des gens éduqués et soignés ? C’est que les hommes et les ressources utilisés pour enseigner et soigner ne sont plus disponibles pour fabriquer des marchandises !

On a beau ramer contre l’idéologie libérale, le courant est contraire, et parfois même… À trop vouloir prouver, certains mélangent tout : sur les 1 996 milliards d’euros du PIB en 2011, il y a 542 milliards de services non-marchands produits par les travailleurs des administrations. Mais les prestations sociales, qui s’élèvent à 576 milliards, ne sont pas une production de ceux qui les reçoivent, ce sont des transferts sociaux. On a assez de peine à remettre les choses d’aplomb, d’autant que, sous le pacte budgétaire, il y a l’austérité pour les pauvres, et, derrière, l’absurdité d’Ubu, avec une forte dose de cupidité, pour préserver les privilèges des évadés fiscaux, entre autres.

Publié dans le dossier
Les faux culs du Traité
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