États-Unis : La menace Mitt Romney
Le candidat républicain, investi lors de la convention de son parti fin août à Tampa, en Floride, se pose en adversaire crédible de Barack Obama. De notre correspondant, Alexis Buisson.
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Le soir où Mitt Romney a prononcé son discours d’investiture, le camp Obama a envoyé à ses supporters des e-mails aux accents alarmistes. Le vice-président Joe Biden a exhorté les démocrates à faire une donation de 5 dollars pour combler le retard de dépenses sur le parti républicain dans plusieurs États clés, s’ils veulent que Barack Obama soit réélu le 6 novembre prochain. Peu après, le Président pressait les siens de mettre la main à la poche. « Ce soir était leur soir, concentrons-nous sur demain. »
Les messages de ce genre sont fréquents ces derniers mois chez les démocrates, alors que Mitt Romney engrange les dividendes de la colère. L’Amérique est toujours en crise, le chômage reste bloqué à plus de 8 % (un taux élevé pour les États-Unis), et les comptes publics sont dans l’écarlate avec une dette à plus de 14 000 milliards de dollars. Depuis le 31 août, Obama et les siens ont encore plus de soucis à se faire : à la clôture de la convention du parti républicain, au cours de laquelle 4 400 grands électeurs (ou « délégués ») ont officiellement investi Mitt Romney, il était clair que le parti de l’éléphant avait réussi son entrée dans la course. Certes, des dissensions ont éclaté au grand jour – les supporters du libertarien Ron Paul, ex-adversaire de Romney pendant les primaires, ont donné de la voix au début du rassemblement –, mais celles-ci n’ont pas empêché le nouveau leader du parti de faire passer son message. Selon lui et ses supporters, son action à la tête du fonds d’investissement Bain Capital pour relancer des entreprises en difficulté et créer de l’emploi, son leadership pour « sauver » les Jeux olympiques de Salt Lake City en 2002 juste après le 11 Septembre et ses succès budgétaires quand il était gouverneur du Massachusetts le posent en candidat crédible pour résoudre la crise. C’est « un homme spécial dans un moment spécial », souligne le sénateur de Floride Marco Rubio. À deux mois de l’élection, la course est serrée. Obama a une légère avance sur son adversaire – il dispose aujourd’hui de 231 grands électeurs (contre 191 pour Romney) sur les 270 nécessaires pour devenir président. Onze États dits swing states, pouvant basculer d’un côté ou de l’autre, détermineront son destin. Pour conquérir ces États clés, Mitt Romney peut tabler sur le mécontentement de l’électorat face au chômage et à la précarité. Dans l’ouest de la Pennsylvanie, où l’industrie énergétique bat de l’aile, les républicains espèrent un soulèvement des électeurs pour faire tomber l’État dans leur escarcelle, ce qui serait une première en vingt-quatre ans.
Dans l’Iowa et l’Ohio, la sélection de l’apôtre de l’orthodoxie fiscale, Paul Ryan, comme colistier de Romney pourrait séduire des électeurs inquiets de la situation budgétaire et économique. Le républicain peut compter sur un butin de guerre pour soutenir sa stratégie. En juillet, sa campagne a levé 101 millions de dollars, contre 75 millions pour les démocrates. C’est le troisième mois consécutif que le parti d’Obama est devancé dans la course aux financements. Or, on sait l’importance de ce paramètre dans une élection américaine. Une situation inédite pour un président-candidat. « Les présidents qui ont un taux d’opinions favorables supérieur à 50 % avant l’élection sont réélus sans difficulté, souligne Kyle Kondik, analyste politique à l’Université de Virginie. Obama est à 48 %, ce qui le met dans la zone rouge. » Autre souci pour Barack Obama : la mobilisation de ceux qui l’ont soutenu il y a quatre ans. En 2008, les femmes, les jeunes, les Hispaniques et les Afro-Américains avaient massivement choisi le démocrate. Cette année, leur motivation est en recul, et Mitt Romney est parti à la conquête de leurs suffrages. Il a dépêché son fils Craig sur la scène de la convention pour prononcer un discours en espagnol, donné une place de choix à Marco Rubio et à Ted Cruz, deux jeunes républicains hispaniques et étoiles montantes du parti, dans la programmation des discours de l’événement.
Toujours lors de la convention, Romney a mis en avant plusieurs femmes : Condoleezza Rice, les gouverneurs du Nouveau-Mexique et de Caroline du Sud, Susana Martinez et Nikki Haley, ainsi que la jeune Mia Love, en passe de devenir la première républicaine noire à se faire élire au Congrès. Il peut aussi compter sur la mobilisation de la base du parti républicain grâce à la nomination de Paul Ryan. Amateur de l’individualisme exalté d’Ayn Rand et du cerveau des réformes fiscales reaganiennes, Jack Kemp, le candidat vice-président séduit les « antigouvernement » du Tea Party comme les républicains issus de l’ establishment. « Cela montre que Romney est un bon manager », souligne Tom Bode, un militant qui s’est dit « fou de joie » quand il a appris l’identité du colistier.
Lors de leur convention à Charlotte, du 4 au 6 septembre, les démocrates auront à cœur de remobiliser, une tâche peu aisée pour tout candidat à la réélection. Malgré la crise, Obama peut se targuer d’une meilleure image que Romney. 61 % des électeurs le voient positivement, contre seulement 27 % pour Romney. Mais le camp Obama devra convaincre qu’il peut encore faire rêver après quatre années de désillusion. À sa disposition, des méthodes de mobilisation bien rodées et une liste de 13 millions de volontaires cultivée pendant quatre ans par Organizing for America (OFA), la machine de guerre électorale instituée par le parti démocrate. « La force d’OFA est la taille de son réseau, souligne Joe Trippi, un communicant démocrate, fondateur de la société de conseil Trippi & Associates. Les républicains n’ont rien créé d’aussi puissant. » Le 3 octobre, aura lieu le premier des trois débats présidentiels. Ce sera le premier vrai test de la campagne. Les deux hommes se connaissent. Lorsqu’Ann, la femme de Mitt Romney, a été touchée par la sclérose en plaques, Barack Obama a appelé le gouverneur du Massachusetts pour lui faire part de son soutien. Quand il est devenu clair que Romney serait le candidat des républicains à la présidentielle, le Président a pris son téléphone pour le féliciter. Mais, lors du débat, deux univers s’affronteront : l’esprit analytique du travailleur social dans le sud défavorisé de Chicago face à l’efficacité de l’homme d’affaires ; l’enfant issu de milieux modestes face à l’héritier d’une dynastie politique et entrepreneuriale ; le Président en place face à un challenger méthodique qui a planifié son ascension à la tête du parti républicain après son échec aux primaires de 2008. Le combat promet d’être rude et serré. Entre deux Amérique.