Faut-il interdire le cumul des mandats ?
Le gouvernement veut faire voter une loi empêchant le cumul des mandats. Or, pour Sophie Dessus, le cumul permet l’ancrage local des parlementaires. Philippe Baumel, quant à lui, estime qu’une telle réforme favoriserait une plus grande diversité du personnel politique.
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Je tiens à préciser, au préalable, que j’étais vice-présidente du conseil général de la Corrèze et que j’ai démissionné de cette fonction – même si la loi ne m’y obligeait pas – parce qu’elle demande beaucoup de travail et de temps. On ne peut pas tout faire ! Cette précision apportée, je veux dire que voter une telle loi sur le non-cumul des mandats demande de bien peser ses avantages et ses inconvénients. Elle ne concernera de fait que quelques parlementaires, et même essentiellement les élus d’un seul parti. Il faut donc bien réfléchir au risque de « scier la branche sur laquelle on est assis ».
Par ailleurs, la plupart des élus qui ont un double mandat se sont engagés auprès des citoyens jusqu’en 2014. C’est-à-dire demain ! Je ne comprends donc pas pourquoi on voudrait interrompre leur travail en cours. Ensuite, je mets en garde sur le risque qu’il y a à élire des candidats uniquement sur un scrutin de liste (c’est déjà le cas pour les conseils régionaux et ça le sera pour les conseils généraux à partir de 2015), puisque ce mode de scrutin semble devoir être étendu aux communes de plus de 500 habitants. Rappelons que, jusqu’alors, c’était 3 500 habitants. Sur ce point, ma crainte est que ces nouveaux élus soient essentiellement des personnalités bien en vue dans les partis ou des professionnels de la politique – et non plus des gens ancrés dans un territoire donné, qui en connaissent bien les spécificités et ses habitants. Il nous faut donc voter un texte qui soit très attentif aux intérêts de la base, des électeurs, en particulier en milieu rural, et pas uniquement au profit des technocrates. Je ne crois pas qu’il faille adopter une loi qui prescrirait une interdiction totale de tout cumul des mandats, car je reste persuadée de l’intérêt d’avoir des élus, surtout en milieu agricole, qui ont une bonne connaissance du terrain. Ma petite expérience de l’Assemblée nationale m’a montré que l’on pouvait très vite être déconnecté des réalités, et m’a appris l’importance d’avoir des élus qui soient au fait des besoins des gens et des territoires. Sinon, on ne fera pas une bonne loi. Veillons à ce que les élus de la nation demeurent des gens comme les autres, qui partagent les soucis et le quotidien des électeurs.
En outre, pourquoi interdire à un maire ou à un élu local d’une petite commune de quelques centaines d’habitants, qui a donc du temps, d’être aussi parlementaire ? Être maire de Lyon ou de Marseille n’est pas la même chose qu’être maire ou adjoint d’une commune rurale de deux cents habitants… Enfin, une telle loi pose aussi la question du statut de l’élu, parce que quelqu’un qui a un métier très prenant et qui arrête son activité pour exercer son mandat doit, au terme de celui-ci, pouvoir la reprendre. Je crois donc que l’on va trop vite avec l’annonce de cette mesure qui, en fait, met en perspective des questions et des enjeux bien plus vastes. J’ai aussi un peu peur que l’on se soit contenté ici d’un effet d’annonce, sans bien réfléchir à toutes les conséquences d’une telle décision. Et que l’on flatte en plus une certaine forme de rejet du politique et des élus, en les stigmatisant en bloc avec le slogan « tous cumulards ! » Prenons bien garde à tous ces aspects.
Je suis très favorable à cette réforme qui vise à interdire le cumul d’un mandat exécutif local avec un mandat national. Elle permettra en effet à d’autres générations, et surtout à plus de femmes, d’accéder aux responsabilités. C’est le gage d’une plus grande diversité du personnel politique. Je me bats pour cela au sein du Parti socialiste depuis plus d’une décennie. Je suis donc très heureux que cette proposition soit reprise aujourd’hui par le PS et le nouveau gouvernement.
En outre, en tant que nouveau député, je mesure aujourd’hui à quel point je vais devoir consacrer tout mon temps au travail au sein du Parlement. C’est pourquoi je viens d’abandonner l’un de mes mandats exécutifs locaux, et je m’apprête à démissionner de l’autre. Vu la charge qui m’attend à l’Assemblée, je vois mal comment je pourrais cumuler celle-ci avec les fonctions et les responsabilités des deux autres mandats que j’assumais jusqu’ici, celui de maire d’une commune rurale (Breuil, en Saône-et-Loire) et l’autre de vice-président de la Région Bourgogne.
Si je conservais ces tâches, les contraintes de temps me contraindraient à déléguer les obligations de mes mandats exécutifs locaux à des collaborateurs. Quand bien même ceux-ci ont toutes les compétences nécessaires, cette situation entraîne, in fine, une distorsion en termes républicains : celui qui a été élu pour remplir un mandat le délègue finalement à d’autres.
La règle interdisant le cumul des mandats permettra à d’autres citoyens d’accéder aux responsabilités, et donc au personnel politique de se régénérer.
Quant à l’argument, que l’on entend très souvent, du bénéfice d’un « ancrage » local des élus nationaux, je n’y crois pas. Il faut la plupart du temps, pour se faire connaître dans une circonscription, être passé par un conseil municipal, général ou régional. L’ancrage, en vérité, existe !
Surtout, la réforme à venir n’interdira que le cumul avec des fonctions exécutives locales ; c’est-à-dire qu’un parlementaire pourra toujours être membre d’une assemblée municipale, départementale ou régionale, du moment qu’il n’est pas maire adjoint, membre de l’exécutif d’un conseil général ou vice-président de Région. Le fameux « ancrage » local demeurera. Ce pseudo-argument ne tient donc pas !
Plus largement, cette réforme tend à modifier en profondeur le système – celui de la Ve République depuis ses origines – qui veut qu’on ne puisse pas accéder à la fonction de parlementaire si l’on n’est pas passé sous les fourches caudines des exécutifs locaux. Il faut changer cela et répondre aux attentes des Français pour une Ve République du XXIe siècle.
De nos jours, les citoyens n’ont pas forcément envie d’avoir pour élu un notable installé pour trente-cinq ans au même endroit. Sinon, cela signifie que l’on restera dans le système qu’ont connu nos parents et nos grands-parents. Un système qui me semble totalement inadapté aujourd’hui, et qui, en vérité, ne fonctionne que par la cooptation.
Je crois qu’aujourd’hui les citoyens ont envie d’un système beaucoup plus direct, beaucoup plus réactif, avec des gens qui s’investissent à 100 % dans le mandat pour lequel ils ont été élus.