Josiane854 vous a envoyé un coup de cœur
dans l’hebdo N° 1220 Acheter ce numéro
Je ne leur pardonnerai jamais. Comme Aimé Jacquet, au soir d’un certain 12 juillet, à l’endroit de quelques plumitifs d’un journal sportif qui l’avaient moqué, avant l’orgasme final et libérateur d’une victoire sur la Seleçao. Escouade en mode mineur, composée ce soir-là de Brésiliennes plus que de Brésiliens. Une tuerie, cette finale, s’était enflammé le regretté Thierry Roland. Mais ça, c’était avant. Alors, pourquoi ce rapprochement osé entre ma situation de nouveau célibat et la compétition footballistique ? Je m’explique. Au prétexte d’une récente séparation d’avec ma compagne avec qui je partageais le quotidien, et accessoirement la couche, depuis dix ans, des amis, enfin je le croyais, m’ont inscrit insidieusement sur un site de rencontres en ligne. Plus motivés par le goût de la farce qu’enclins à répondre à un mal-être non revendiqué, potaches dans l’âme, adolescents attardés, désœuvrés rigolards, et sans doute avinés, à l’instant de balancer ma vie au vu et au su de millions, de milliards de célibataires, veuves, divorcées sexagénaires et omnipotentes.
Un tsunami de mails pleurnichards a soudainement submergé l’écran noir de mes nuits blanches. Des Antilles, de la Creuse, de la Sarthe, des Ardennes, d’Ukraine et même de Marseille, où, sans forcer le trait, la teneur des messages était nettement plus directive, pour ne pas dire menaçante. Mais où Minouche13 a-t-elle trouvé cette émoticône en forme de petite kalachnikov ? Ah les « bouches » du Rhône, tout en gueule, comme le brochet. Avalanche de requêtes emplies de névroses et d’exigences sexuelles disproportionnées, de questionnements déplacés, de revendications féministes et/ou financières. Des pseudos qui relèvent tantôt de la régression : boutondor69, lèvresenfeu78, minouchetteduvexin… sinon du borborygme : blitzkrieg3945.
Je me suis donc livré, à corps perdu, à l’improbable exercice de répondre à ces bouteilles jetées à la mer Egée, comme le ferait le cabinet du ministre du Redressement productif aux demandes de reclassement d’un salarié de PSA. Mais je ne suis pas praticien, et ne dispose pas d’une formation conséquente pour traiter de pathologies souvent proches de la psychiatrie. Tantôt pathétiques, « mon marri ma quitée a cose de lalcolle », parfois émouvants, « acceptez-vous d’échanger quelques mots avec moi ? », révélateurs de solitude et de dépression, ces messages combleraient tout sociologue en velléité d’écriture sur l’évolution et la pérennité du couple en ce début de nouveau siècle. Et les concepteurs du site ont tout compris de cette révolution, ils surfent avec bonheur et avidité sur l’échelle du malheur et du désespoir. La communication se vend au forfait. Pour 30 euros par mois et par tête, un troupeau d’âmes en peine attend son berger, fantasmé, virtuel et idéalisé. Plutôt mince, grand, européen, non-fumeur, catholique et de profession libérale.
Pour les timides, un clic pour envoyer un « coup de cœur », sans besoin de formuler une demande ou de rédiger quelques lignes d’introduction. Pour les plus hardies, une messagerie privée pour se présenter ou exprimer son besoin, justifier sa présence sur le site. Pas de hasard si j’utilise le féminin. La majorité des inscrits sont des inscrites. Mamans esseulées après des années d’une cohabitation chaotique avec un conjoint volage ou violent, perdues et affolées, pressées par l’entourage de retrouver un statut marital en conformité. Femmes mûres et délaissées par les enfants qui ont fait leur vie et que le compagnon a quittées pour une jeunette, blondasse et vénale. Quadras, quinquas, sexas et plus, aux abois, aux aguets de tout nouvel adhérent mâle sur jenaimarredemaviedemerde.com. Car c’est à la plus réactive – un œil sur le site, l’autre sur les Feux de l’amour –, la plus attractive, que reviendra le pompon : la réponse d’un galant ou, graal absolu, le rendez-vous. Après avoir couru chez son coiffeur pour une mise en plis salvatrice, elle arborera sa robe noire à fleurs roses, celle qu’elle portait à l’audience de son divorce, symbolique d’un nouveau départ, d’une nouvelle jeunesse, pour un dernier tour de manège. « La tête et les jambes », véritable compétition en ligne, coupe du monde de l’affection, désir d’avenir, du Poitou à la Martinique, où s’affrontent des profils « tout en rondeur », « en quête de sincérité ».
Pour m’avoir inscrit, à l’insu de mon plein gré, sur ce site de rencontres, mis en face d’une réalité que je subodorais mais que j’abhorrais par avance, à ces soi-disant amis œuvrant pour mon bien, je renvoie la balle au fond des filets. Et vous pouvez toujours vous brosser quant à l’invitation à mon mariage avec Josiane854, rencontrée sur le site le 12 juillet dernier. Je ne vous pardonnerai jamais.