La potion amère du PS

C’est sans enthousiasme et avec de faibles arguments que le gouvernement
veut contraindre ses parlementaires à ratifier le traité budgétaire européen.

Michel Soudais  • 6 septembre 2012 abonné·es

Comment faire accepter ce qui, hier encore, était inacceptable ? La question taraude le gouvernement et la direction du PS. En cette rentrée, ils éprouvent toujours des difficultés à convaincre leurs troupes d’approuver le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG). Un traité voulu et signé par Nicolas Sarkozy auquel François Hollande, lui-même, était opposé (voir encadré). Le 21   février, lors de la discussion sur le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES), Élisabeth Guigou avait eu des propos définitifs sur le TSCG, que les chefs d’État et de gouvernement s’apprêtaient à signer. « Ce projet de traité intergouvernemental ne répond pas à l’urgence, il n’est pas nécessaire, il est déséquilibré et il est antidémocratique », expliquait l’ancienne ministre aux Affaires européennes, qui s’exprimait au nom du groupe socialiste. Six mois plus tard, la « renégociation sérieuse » à laquelle le nouveau Président s’était engagé durant sa campagne n’a pas modifié le texte d’un iota. Jean-Marc Ayrault a beau prétendre que « le vote des Français a fait bouger les lignes » en permettant au Président d’obtenir un pacte de croissance, l’union bancaire et la taxe sur les transactions financières, le traité décrié est intact. Présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen, Catherine Trautmann estime toujours que « ce traité est inutile et même dangereux par ses choix économiques »  [^2]. Selon elle, les socialistes sont « tous d’accord : [ce traité] est inacceptable et contraignant ». Dans ce cas, pourquoi vouloir le ratifier ?

Le 17 mars 2012, François Hollande participait, au Cirque d’hiver de Paris, aux côtés des principales figures du PSE, dont le président du SPD allemand et le secrétaire du PD italien, à une rencontre intitulée « Renaissance pour l’Europe ». Dans son discours, le candidat du PS à la présidentielle avait ainsi parlé du traité budgétaire européen : « Ce traité est une illusion, mais c’est aussi un risque, celui de devoir faire dans quelques mois ou dans quelques années, après des efforts parfois insupportables pour les Européens, le constat de l’échec et de l’impuissance. Le traité, à bien des égards, est son pire ennemi. Il prétend en terminer avec la crise financière à travers une annonce de stabilité, mais il crée les conditions d’une crise économique durable, laquelle ne peut faire que ressurgir les déséquilibres financiers qui ont fait naître, justement, la première. C’est le sens de ma demande de renégociation. » J’ai donc demandé un mandat au peuple français. S’il fait le choix de me porter à la présidence de la République, j’aurai alors le devoir, l’obligation de renégocier ce traité parce que le peuple français en aura souverainement décidé. […] Je mettrai toute ma détermination […] à rester [à la table des négociations] tout le temps nécessaire pour obtenir la croissance, l’emploi, le développement, le progrès. Et nos partenaires le savent. Il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel. Je sais aussi que la nouvelle Assemblée nationale que le peuple français aura à choisir […] et le Sénat ne ratifieront pas en l’état le traité s’il ne fait pas l’objet d’une renégociation sérieuse. »
Comme à chaque fois qu’ils doivent se prononcer sur un traité européen, les responsables socialistes distinguent « le texte », insatisfaisant [^3], et ce qu’ils appellent « le contexte », lequel, c’est sa principale vertu, commande toujours d’avaler les potions les plus indigestes. L’argumentaire pro-traité distillé depuis quelques semaines repose ainsi sur quatre affirmations. La première consiste, selon le mot de Catherine Trautmann, à « relativiser » l’impact du TSCG, qui « n’est pas de même nature que le traité de 2005 » [TCE], et parallèlement à surdéterminer la portée économique et politique des « avancées » obtenues par le chef de l’État lors du conseil européen des 28 et 29 juin. Le Premier ministre assure ainsi, en se fondant sur l’avis très politique rendu par le Conseil constitutionnel le 9 août, qu’ « il n’y a pas de transfert de souveraineté » pour justifier le refus du gouvernement d’organiser un référendum. L’article 11, pour ne citer que lui, institutionnalise pourtant un droit de regard et de contrôle renforcé des institutions de l’UE sur « toutes les grandes réformes de politique économique »  ; et ce droit, est-il précisé, s’exerce même « au préalable ». À l’appui de cette relativisation, le gouvernement note que « la règle d’or ne sera pas intégrée dans la Constitution », que les objectifs de réduction des déficits contenus dans le texte étaient déjà ceux sur lesquels François Hollande s’était engagé dans la campagne… Bref, il n’y aurait pas lieu de dramatiser ni matière à s’offusquer. D’autant, et c’est le second argument, que le résultat du conseil européen de juin n’est qu’ « une étape » qui doit être « suivie par d’autres », souligne le Premier ministre. « Ce traité, ce n’est pas l’alpha et l’oméga de notre politique », a-t-il insisté devant les militants socialistes à La Rochelle. Non sans rappeler que si le chef de l’État n’a pas « tout » obtenu, «  toute construction européenne a été une succession de compromis ». « Ce que nous avons obtenu n’est pas un solde de tout compte », assure pareillement son ministre délégué aux Affaire européennes, Bernard Cazeneuve, un ancien « noniste » de 2005 spécialement chargé de convaincre les parlementaires sceptiques.

Plus rassurante, Catherine Trautmann prétend que le TSCG ne serait que temporaire : « En 2017, tout le monde se retrouvera pour intégrer ou non le traité dans le droit communautaire. Surtout, il risque (sic) de ne pas être appliqué. » Les socialistes pourraient donc le ratifier, comme ils votent dans leurs congrès des motions contre le cumul des mandats tout en rêvant ne jamais se les appliquer. Léger ! Cette étape, toute transitoire donc, est enfin, c’est le troisième argument, le premier acte de la réorientation de l’Europe dont le pacte de croissance encore fantomatique (voir p. 8) constituerait les prémices modestes, car obtenu dans un rapport de force encore défavorable. «  Ce n’est pas parce qu’on a gagné les élections qu’on a la majorité sur le continent, explique encore Catherine Trautmann. On a une chance politique réelle de faire bouger les lignes en Europe et de lancer un débat sur les déficits. Mais il faut d’abord créer les conditions, et le traité en fait partie, même si c’est un gros truc amer à avaler. » La promesse n’est pas nouvelle. « Cette petite musique est la même que celle entendue [depuis Maastricht] à chaque fois que des réserves s’élèvent contre la ratification d’un traité européen », déplore sur son blog Pascal Cherki, un député de Paris membre du courant de Benoît Hamon. « Comme si la succession des briques libérales apposées sur la maison Europe allait conduire par “enchantement” ou par une ruse hégélienne de l’histoire à l’édification d’une Europe progressiste, voire socialiste, nous proposant en quelque sorte de voler d’échec en échec vers la victoire finale », ironise-t-il en confessant « être peu réceptif à cette dialectique constamment démentie par les faits. »

C’est toutefois cette promesse de lendemains plus roses qui justifie l’argument ultime des partisans du traité. Pour ne « pas affaiblir le président de la République et le Premier ministre dans la bataille qu’ils mènent contre les autres pays de l’Union, ceux qui ne pensent pas comme nous » (Bernard Cazeneuve), la majorité doit voter comme un seul homme la ratification du traité. Il y va de « l’intérêt de la France », renchérit Jean-Marc Ayrault, justifiant ainsi par avance l’obligation faite aux parlementaires du PS de respecter la consigne de vote qui leur sera donnée. Sous peine de représailles.

[^2]: Mediapart, 26 août, « Le traité «Merkozy» divise les socialistes ».

[^3]: « Est-ce que c’est le nirvana ? Non ! Est-ce que c’est un progrès considérable ? Oui ! », a déclaré, le 26 août, Arnaud Montebourg, qui, à notre connaissance, est bien le seul à parler de « progrès ».

Politique
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