Les faux culs du traité européen
Florilège non exhaustif des retournements de veste, de la mauvaise foi, des hypocrisies et incohérences auxquels le vote de ratification du traité budgétaire européen donne lieu à gauche.
dans l’hebdo N° 1220 Acheter ce numéro
Comment justifier l’adoption d’un texte jugé, il y a cinq mois encore, « dangereux », « inutile », « antidémocratique » ? À cette question, le gouvernement, les responsables socialistes et quelques figures d’Europe Écologie-Les Verts essaient de répondre tant bien que mal. Et plutôt mal que bien. Comme ces femmes d’antan qui portaient des rembourrages sous leur robe pour augmenter le volume de leur postérieur, ces nouveaux partisans du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) gonflent leur discours de toutes sortes d’artifices pour justifier leur approbation d’un texte inchangé. À quelques jours du vote de ratification, les faux culs se multiplient au sein de la gauche.
Les anciens « nonistes » en sont les adeptes les plus voyants. Avant d’être ministre délégué aux Affaires européennes, le Cherbourgeois Bernard Cazeneuve a été, comme son mentor et ministre de tutelle, Laurent Fabius, un opposant au traité constitutionnel européen et à celui de Lisbonne. Au nom d’une réorientation de l’Europe qui, assure-t-il, est maintenant en bonne voie avec l’élection de François Hollande. Ardent défenseur d’un « oui de résistance », il exhorte les parlementaires de la majorité à « ne pas se focaliser sur un texte que nous avons réussi à dépasser ». Avec des formules qui permettraient de juger satisfaisant le résultat de n’importe quelle négociation, quel qu’il soit : « Ce que nous avons déjà obtenu n’est pas rien mais c’est moins que ce qu’il nous reste à obtenir. » Bref, « il ne faut pas rendre impossible le but qu’on veut atteindre » en refusant de franchir « la première marche ». Autre « noniste » de 2005, Arnaud Montebourg n’était pas le moins virulent contre ce qu’il appelait, comme le Front de gauche, « le traité Merkozy ». « Une majorité de gauche ne votera jamais » [un tel texte], jurait-il le 22 février sur LCI. Aujourd’hui, il en minimise la portée, assurant qu’un « traité ne fait pas une politique » mais « organise simplement les conditions de son expression ». Et quand nos confrères de Mediapart lui pointent les aspects budgétaires contraignants et permanents contenus dans le traité, le ministre du Redressement productif les coupe d’un total déni de réalité : « Il n’y a pas de contraintes qui privent le peuple et les démocraties de leur souveraineté. » S’il convient toutefois qu’avec un pacte de croissance de 120 milliards « le manque d’ambition est patent », c’est pour se récrier qu’ « il y a trois mois, il n’y avait ni pacte de croissance, ni taxation financière, ni supervision bancaire ». Rien n’est assez rose quand le devoir gouvernemental commande de voter « oui ».
Et la tentation d’en rajouter est grande. Karine Berger, jeune députée hyperdiplômée, qui raconte « avoir voté et milité pour le non » en 2005, par refus de voir la construction européenne prendre « le chemin de la technocratie sans contrepartie politique », préfère elle aussi minimiser les contraintes du TSCG. Et magnifier les petites concessions obtenues par le chef de l’État, fin juin : « Grâce à l’ajout d’obligations européennes de financement de projet et de l’utilisation des fonds structurels européens pour les pays en difficulté du sud de la zone euro, écrit-elle dans le Monde (20 septembre), l’union monétaire va réaliser pour la première fois depuis 1954 une véritable politique keynésienne commune. » Une relance keynésienne d’un montant de 1 % du PIB, cela ne s’est effectivement jamais vu !
Même Élisabeth Guigou se garde d’une telle euphorie. En février, au Palais-Bourbon, l’ancienne ministre aux Affaires européennes avait eu l’audace de rejeter le TSCG, jugeant qu’il ne répondait « pas à l’urgence », n’était « pas nécessaire, déséquilibré et antidémocratique ». Elle répète maintenant un peu partout qu’elle « n’aime pas ce traité », qu’il s’agit d’ « un héritage de Sarkozy », mais que « ce n’est pas parce qu’on n’aime pas un traité qu’il ne faut pas le ratifier ». « Héritage d’un compromis passé », c’est exactement la justification avancée par cinq députés européens d’EELV, Sandrine Bélier, Jean-Paul Besset, Dany Cohn-Bendit, qui en février appelait les députés à voter « non »,Yannick Jadot et José Bové, ex-noniste de 2005. Dans une tribune publiée dans Libération (21 septembre) ils souhaitent que la France en prenne acte et le ratifie « si elle souhaite que la dynamique amorcée par le président de la République s’amplifie et débouche sur un nouveau compromis ».
Les ressources rhétoriques mobilisées pour expliquer que « non, mais oui… » semblent inépuisables. Quand les deux présidents de groupe à l’Assemblée nationale et au Sénat, Bruno Le Roux et François Rebsamen, appellent leurs troupes à un « oui de soutien » à François Hollande, plus qu’au traité dont ils évitent de parler, Philippe Martin, député du Gers et fabiusien de longue date, opte lui pour un « oui raisonnable ». Sans enthousiasme. C’est encore un « oui galiléen » qu’a formulé le conseiller régional de Champagne-Ardenne EELV, Éric Loiselet, « parce que la Terre tourne malgré nos débats » …
Tout cela manque de cohérence ? Pas plus que l’affichage par Cécile Duflot, lundi sur France 2, de fortes convictions au service d’une mission sacrée : rester ministre. Après le rejet du traité par le conseil fédéral de son parti, l’ex-secrétaire nationale d’EELV n’a, à aucun moment, fait part de sa position personnelle sur la question, se réfugiant tantôt derrière le principe de « solidarité avec les autres membres du gouvernement », tout en disant n’être « pas en désaccord ou en accord » avec la position de son parti. Une semaine plus tôt, l’autre ministre Vert, Pascal Canfin, avait quant à lui déclaré qu’ « il serait souhaitable de ne pas s’opposer » à un traité qui « n’est pas formidable », mais qui « fait partie d’un compromis ». Avec un poste à préserver, la présidente de la commission des Affaires européennes, Danielle Auroi, députée du Puy-de-Dôme, a fait savoir de son côté qu’elle serait « quoi qu’il arrive sur une prudente réserve d’abstention » …
La cohérence n’est pas nécessairement l’apanage des opposants au traité. Les « nonistes » d’Un monde d’avance estiment que le TSCG est une « catastrophe » – voire, comme Pascal Cherki, député-maire PS du XIVe arrondissement, qu’une « mobilisation sociale » serait indispensable pour ouvrir le débat sur le traité – mais ils ne seront pas dans la rue dimanche. Ce que refuse également Eva Joly. « Si la manif était à l’initiative des syndicats, notamment de la Confédération européenne des syndicats, j’irais. Mais vu que c’est le Front de gauche qui organise, et que cette manif va finir en manif contre le gouvernement, je n’y serai pas », explique Pascal Cherki, qui – pas à un paradoxe près – « espère » toutefois qu’il y aura du monde. « C’est une manif contre la gauche, pas contre le TSCG », ajoute Benoît Hamon, ministre de l’Économie sociale et solidaire. Même refrain de l’eurodéputé Liêm Hoang Ngoc, qui estime que cet acte de « défiance » à l’égard du gouvernement nuirait au final au message. Se faire entendre moins pour être écouté plus ? La stratégie laisse rêveur.
Qu’ils soient socialistes ou écologistes, les opposants au TSCG semblent résignés à voter ensuite la loi organique qui transposera le traité dans la législation française. Ce sont « deux textes différents », explique déjà François de Rugy, coprésident du groupe EELV à l’Assemblée nationale, pointant que la loi organique, contrairement au traité, peut être amendée. Qu’elle le soit ou non, Jean-Marc Ayrault a fait passer le message : ce texte fait partie du budget et ceux qui le refuseraient s’excluraient de la majorité. Les récalcitrants seront rares. Jérôme Guedj, député socialiste de l’Essonne proche de Marie-Noëlle Lienemann, avoue son embarras : « Il y aura une contradiction que vous ne manquerez pas de relever. » Assurément.