N’importe quoi, Lucien
dans l’hebdo N° 1219 Acheter ce numéro
Le matin, avec mon pote Lucien, on se retrouve au café pour commenter l’actualité. (Un peu comme fait Alain Finkielkraut aux comptoirs médiatiques où il a ses facilités – sauf que nous, bien sûr, on passe pas notre temps à vérifier s’il y aurait pas quelques Noirs de trop dans l’Onze françousque, ou à bubuler que l’antiracisme sera le communisme d’après-demain, et de la semaine prochaine aussi, también. )
Et donc, ce matin, je disais à Lucien : tu vois, Lucien, ce qu’il y a de bien, avec les ministres de l’Intérieur, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la chefferie de l’État français ? C’est qu’ils se suivent, certes – Manuel Valls est déjà le troisième qu’on a en relativement peu d’années –, mais qu’en même temps : ils se ressemblent. Et ça, tu vois, Lucien ? C’est plutôt bien, parce que s’ils étaient pas tous pareils, ça risquerait de nous désorienter – oui ou non, Lucien ?
Et comme Lucien répondait pas (c’est comme ça qu’il fait quand il veut me signifier qu’il n’est pas complètement d’accord avec moi, ce pauvre salaud), j’ai ajouté : typiquement, Manuel Valls fait super gaffe à tout bien faire pour pas vexer le Président, si tu regardes. Et comme Lucien continuait à pas répondre (comme il fait quand il a décidé d’être vraiment casse-couilles), j’ai précisé : qu’est-ce qu’il a dit, et qu’est-ce qu’il a fait, Manuel Valls, depuis qu’il a récupéré le maroquin von Staatssicherheit ? Je vais te le dire, Lucien. Petit un : il a déclaré qu’il avait bien évidemment rien contre les musulman(e)s – mais qu’il fallait que les musulman(e)s soient gentil(le)s, hein, parce que ça commence à bien faire, bordel. Petit deux : il a promis (et tenu) qu’il allait virer des Roms par grosses bourrichasses, genre, allez raus, Manolo – pour leur bien, il va de soi. (Et pour celui, du même coup, des riverains, qu’en peuvent plus d’avoir des voleurs sur le perron, et on ferait mieux d’essayer de les comprendre, ces braves gens, au lieu d’angélismer – ou si c’est qu’on tient à faire l’jeu d’l’FN ?)
Petit trois : il a ensuite promis de gicler d’cheux nous « 7 000 Bulgares et Roumains » avant la fin septembre. (C’est à ce moment-là qu’il est devenu évident qu’il cherchait à doubler sur leur droite ses deux prédécesseurs.) Petit quatre : il a répété – pour le cas qu’on l’aurait eu oublié pendant l’été – que les fanatiques musulman(e)s commençaient à lui mouliner de près la cacahouète. Et petit cinq (pour finir la saison dans ce qu’il faut bien appeler une apothéose) : il a annoncé qu’il préparait une loi antiterroriste contre les zislamisses – comme font toujours les ministres de l’Intérieur depuis l’élection de Nicolas Sarkozy.
À ce moment-là, Lucien m’a lancé : attends, gars, tu délires, c’est plus Sarkozy, le président. Aaaah ouais, j’ai demandé ? Et c’est qui, alors, d’après toi qui sais tout ? C’est un socialiste changeux, il m’a répondu. Tu vois bien que t’es con, Lucien, j’ai conclu : évidemment que si un socialiste de changeage avait été mis dans l’Élysée, il aurait pas nommé un clone de Brice Guéant au ministère des Polices.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.