« Viviane Élisabeth Fauville », de Julia Decq : Topographie d’un meurtre

Viviane Élisabeth Fauville, le premier roman de Julia Decq, est un polar dans lequel une femme est à la recherche d’elle-même.

Christophe Kantcheff  • 20 septembre 2012
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L es Mystères de Paris aurait été un autre bon titre au premier roman de Julia Decq. À prendre littéralement : parce qu’il contient pas mal d’étrangetés, parce que les rues de la capitale y sont très présentes. Du Ve arrondissement de Paris au Xe, en passant par le XIIe, on pourrait tracer la cartographie parisienne de Viviane Élisabeth Fauville, de la même manière qu’on a pu le faire avec les romans de Patrick Modiano. Le Paris de Julia Decq n’est ni pittoresque ni poétique, mais topographique. C’est avec une sèche précision que l’on apprend, par exemple, que Viviane, le personnage éponyme, « contourne l’hôpital Saint-Louis par le nord-nord-est » et rejoint ainsi la place du Colonel-Fabien.

Peut-être ces précisions sur les lieux rassurent-elles, parce qu’elles donnent des repères, alors que Viviane est instable, bouge beaucoup, marche sans compter et emprunte volontiers les transports en commun. Ces informations font en tout cas ressortir les quatre pôles du territoire qu’elle arpente. D’abord son appartement, à l’angle des rues Cail et Louis-Blanc (Xe), où elle vit avec sa fille, tout bébé. Celui qu’elle partageait il y a peu avec son ex-mari, Julien, au n° 35 de la rue Louis-Braille (XIIe). Le logement, place Saint-Médard, de sa mère morte, et enfin celui de son psy, rue de la Clef (les deux dans le Ve), psy dont elle raconte, dès le deuxième chapitre, l’assassinat… commis par ses soins. Oui, c’est le mouvant, l’indéterminé, qui domine (le mystère, donc) dans Viviane Élisabeth Fauville. Le mobile du meurtre, par exemple : Viviane aurait tué l’analyste parce qu’elle n’a pas apprécié les dernières reparties qu’il lui a faites lors de l’ultime séance. Pas très solide. Autre incertitude : l’identité de la narratrice. Au fil des pages, elle se confond avec le personnage, devient narratrice omnisciente, ou bien dit « tu », « nous » ou encore « vous ». Comme si le point de vue flottait, comme si Viviane ne savait pas exactement qui elle est, quel personn(ag)e elle figure. D’ailleurs, à certains individus, elle se présente sous le prénom Élisabeth, elle devient Élisabeth. Viviane Élisabeth Fauville. Ce patronyme durassien cache peut-être plusieurs personnes. Ou une seule, qui ne réussit pas à se situer avec exactitude. Psychologiquement du moins. Sinon, Viviane sait si elle se trouve rue Saint-Maur (Xe) ou au Jardin des Plantes (Ve). Le choix de l’exergue du livre, de ce point de vue, est parfait. En plus de placer l’ensemble sous les bons auspices de Samuel Beckett : « Je suis, depuis que je suis, ici, mes apparitions ailleurs ayant été assurées par des tiers » ( l’Innommable ).

Il y a de l’énigme dans Viviane Élisabeth Fauville. Du roman policier. Sauf qu’on sait qui a tué. Enfin, on sait… La police fait son travail. Elle convoque même plusieurs fois Viviane. L’officier de police Philippot l’interroge. Il est « très grand, très beau […] a le crâne lisse et les lèvres charnues, genre Yul Brynner aux yeux pâles ». En meurtrière, elle n’est décidément pas crédible, même si Philippot et son supérieur lui tapent sur les doigts pour avoir grossièrement inventé son alibi. Mais, aux yeux de Viviane, était-ce vraiment un mensonge ? Quoi qu’il en soit, c’est elle, dans le roman, qui mène l’enquête. À sa façon. Elle rencontre la jeune maîtresse du psy et sa veuve, Gabrielle, qui du vivant de son mari habitait déjà avec un autre homme. Viviane revoit aussi en pensée les trois années qu’elle vient de passer, entre ses 39 et ses 42 ans, le temps de se marier, d’être trompée et de divorcer, d’avoir un enfant, de bénéficier d’un poste bien payé chez un fabricant de béton et d’être mise au placard. Le temps enfin de suivre une analyse aux résultats peu convaincants. Quelque chose n’a pas pris. Contrairement à l’omelette que Viviane se prépare au début du livre. Contrairement à l’écriture de Viviane Élisabeth Fauville, d’une pâte succulente : « L’omelette, on croit qu’il la faut lisse, et l’on se trompe. C’est l’art d’à peine instiller le blanc dans le jaune, de les saisir à point. » À table !

Viviane Élisabeth Fauville, de Julia Deck, Éditions de Minuit, 155 p., 13,50 euros.
Littérature
Temps de lecture : 4 minutes
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