Ces fédés embarrassantes

Harlem Désir veut poursuivre la rénovation engagée par Martine Aubry. Il n’aura pas la tâche facile dans les Bouches-du-Rhône, l’Hérault et le Pas-de-Calais, trois fédérations à problèmes.

Michel Soudais  • 25 octobre 2012 abonné·es

La rénovation du PS n’est pas le moindre des défis qui attendent Harlem Désir. Sitôt son élection acquise, avec 72,45 % des suffrages face à Emmanuel Maurel, représentant de l’aile gauche (27,55 %), dans un scrutin qui a mobilisé moins de la moitié des adhérents du PS, le successeur de Martine Aubry a assuré ces derniers de sa « détermination totale à poursuivre la rénovation ». « Engagée » par la maire de Lille, celle-ci reste inachevée. Dans son premier discours, le nouveau patron du PS s’est dit déterminé à faire vivre la parité, dont l’application reste imparfaite, et à faire respecter le non-cumul, plébiscité par les militants mais sans cesse repoussé. Il devra surtout mener à terme la normalisation de trois grosses fédérations secouées par des affaires : les Bouches-du-Rhône, l’Hérault et le Pas-de-Calais. Moins de vingt-quatre heures après son élection, Harlem Désir mandatait le secrétaire national du PS aux fédérations, Alain Fontanel, qui prévenait par courrier le secrétaire fédéral des Bouches-du-Rhône, Jean-David Ciot, de sa volonté de « travailler sereinement et collectivement à la désignation des délégués  [de la motion Désir] et de ses représentants au sein du Conseil fédéral ». En clair, Solférino, dont le courrier est rendu public par Libération, veut s’octroyer un droit de regard sur ces désignations pour empêcher les guérinistes de garder la main sur les instances locales.

Ce n’est pas la première fois que les instances nationales du PS essaient de mettre de l’ordre dans le fonctionnement et les pratiques de cette fédération dirigée de fait par Jean-Noël Guérini, tout-puissant président du conseil général. Début juillet 2011, le bureau national adoptait un rapport de l’ancien ministre de la Défense, Alain Richard, établissant dix « recommandations ». Quatorze mois plus tard, Renouveau PS13, un groupe de militants anti-guérinistes, déplorait que « seule la dixième et dernière [ait] été véritablement mise en œuvre ». Jean-Noël Guérini, malgré sa mise en examen le 8 septembre 2011 pour prise illégale d’intérêt, trafic d’influence et association de malfaiteurs, continue d’avoir la haute main sur la « fédé ». Récemment, il déclarait être là « pour de nombreuses années » et prévenait qu’il aurait son mot à dire pour les municipales de 2014. Nouvel épisode de cette guérilla à laquelle se livrent Paris et Marseille, le courrier de vendredi n’a pas eu plus d’effets : Jean-David Ciot, le secrétaire fédéral mis en place par Guérini, a fait entériner sa liste par le congrès fédéral. À côté du « 13 », le PS de l’Hérault ferait presque figure de bon élève. Cette fédération avait été mise sous tutelle en septembre 2010, six mois après la victoire aux régionales de Georges Frêche. Exclu du parti, le patron du Languedoc-Roussillon avait largement battu la liste PS de la maire de Montpellier, Hélène Mandroux, avec le soutien d’une grande majorité des responsables et militants de la fédération. Après son décès, le 24 octobre 2010, l’ensemble des dissidents ont été réintégrés. Mais l’ex-patron de la fédération, le sénateur Robert Navarro, est, lui, sous le coup d’une plainte pour abus de confiance, déposée par le PS après la découverte de nombreuses factures réglées par la fédération.

Le vote sur les motions n’a donné lieu cette année qu’à un seul litige sérieux : dans la « section 11 » de Montpellier, 80 votes ont été enregistrés pour… 47 inscrits. Il s’agit d’une section dont le bureau national des adhésions a demandé la dissolution, il y a plus de deux ans, mais qui reste dirigée par Dominique Navarro, l’épouse de Robert Navarro. Un proche de ce dernier, Laurent Pradeille, figure parmi les quatre candidats à la direction de la fédération, élection qui se tiendra le 15 novembre et qui marquera la sortie de tutelle de l’Hérault. Signe que l’ancienne équipe n’a pas encore dit son dernier mot. Tout comme les « barons » du Pas-de-Calais. L’un d’entre eux, Jean-Pierre Kucheida, exclu du PS en mai pour s’être présenté face au candidat investi par le parti, est convoqué devant le tribunal correctionnel le 13 novembre. L’ancien député socialiste, et maire de Liévin, devra répondre d’abus de biens sociaux concernant le bailleur social Soginorpa, lequel gère 62 000 anciens logements miniers. Une indélicatesse qui ne serait toutefois que l’arbre d’une forêt plus importante et qui aurait prospéré dans ce bastion historique du PS. Aux législatives, le « dissident » Kucheida avait reçu le soutien de nombreux dirigeants de la fédération, dont les « barons » Daniel Percheron, président du conseil régional et secrétaire de la section de Liévin, ou de Jacques Mellick, l’ancien maire de Béthune condamné en 1997 pour faux témoignage et subornation de témoin dans l’affaire du match truqué OM-VA.

Ces soutiens avaient pesé, le 26 juin, dans la décision du bureau national du PS de mettre « sous tutelle des instances de direction » de la seconde fédération (en nombre d’adhérents). Le rapport de la commission d’enquête (créée le 8 décembre 2011 par Martine Aubry et conduite par Alain Richard), et sur laquelle le bureau national avait appuyé sa décision, rejetait les accusations de financement politique occulte. Mais pointait l’existence, dans certaines sections, de moyens financiers en liquide ou d’un compte de 120 000 euros à la section de Liévin. Il relevait surtout plusieurs manquements aux règles du parti, en termes de parité, de désignations, de diversité, de renouvellement des générations et enfin de respect des accords avec les partis partenaires. Pour remettre le Pas-de-Calais sur les rails et stopper la progression du FN, qui prospère localement sur cette situation, la direction du PS aura bien du travail. C’est ce que montrent les journalistes Benoît Collombat et David Servenay dans le livre-enquête passionnant qu’ils consacrent à cette « fédé » [^2], où les élus ont symboliquement remplacé les anciens patrons des Houillères et développé toute une série de petits et de grands arrangements (clientélisme, népotisme…) pour s’assurer les faveurs de leur électorat. « Il va falloir que tu fasses un peu d’importation de personnel politique, parce que tu vas avoir du mal avec la ressource sur place », conseillait, selon les auteurs, Alain Richard à Martine Aubry. Harlem Désir sait ce qui l’attend.

[^2]: La Fédé. Comment les socialistes ont perdu le Nord , Benoît Collombat et David Servenay, Seuil, 334 p., 19,50 euros.

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