Chávez et les médias : la stratégie du coup d’éclat
Avec talent comme avec violence, le Président a fait de ses trois mandats un véritable show télévisé.
dans l’hebdo N° 1221 Acheter ce numéro
«Malheureusement, pour le moment, les objectifs que nous nous étions fixés n’ont pas été atteints […]. J’assume la responsabilité de ce mouvement bolivarien. » Le 4 février 1992, ce « pour le moment » (« por ahora ») résonne dans toutes les têtes. Un colonel inconnu vient de rater son coup d’État et de réussir son premier grand coup médiatique. Par ces quelques mots à la télévision, Hugo Chávez devient populaire. Un Vénézuélien assume ses échecs quand les politiciens rejettent les difficultés économiques sur les autres. Depuis, le président socialiste se sert des médias comme d’un tremplin tout en les bousculant quand il se sent offensé. Tout est médiatisé. Des conseils des ministres, où les membres du gouvernement sont critiqués ou félicités en direct, jusqu’à sa propre maladie. Ses retours de Cuba, où il subissait des sessions de radiothérapie et de chimiothérapie pour vaincre son cancer, étaient souvent retransmis à la télévision. Vêtu d’un jogging, le Président descendait de l’avion pour rejoindre ses proches collaborateurs et sa famille, et les rassurer sur son état de santé avant de s’engouffrer dans une voiture l’amenant au palais présidentiel de Miraflores. Sur tout le trajet, des militants acclamaient le retour du Président. Les messes organisées en son honneur et auxquelles il assistait étaient aussi télévisées.
Mais si ces shows médiatiques donnaient une impression de proximité avec le leader bolivarien, tout était soigneusement contrôlé. Aujourd’hui encore, on ne connaît pas la nature ni le degré de gravité de son cancer. Les discours fleuves du Comandante – plus de huit heures parfois – et son émission dominicale « Alo Presidente » sont désormais célèbres. Sur le terrain, il inspecte les travaux en cours ; pédagogue, il explique aux auditeurs et aux téléspectateurs le sens de telle mesure, prend à partie le public et ne se retient pas de chanter. Ce dernier point peut paraître grotesque. Mais, quand ce fils d’instituteur prend le micro et chante la musique traditionnelle des Llanos, région agricole du sud-est du pays, il assume ainsi une culture populaire dénigrée par les élites.
D’après Reporters sans frontières (RSF), Hugo Chávez en fait trop, surtout en pleine campagne présidentielle. Lors d’une intervention, le 18 septembre dernier, l’organisation a critiqué l’emploi abusif des cadenas, ces discours obligatoirement diffusés par les chaînes hertziennes et les radios. « De janvier à août 2012, ces cadenas se sont chiffrés à 136 heures et 20 minutes d’antenne, soit, par comparaison, une semaine d’allocution ininterrompue », souligne le rapport de RSF. Si ces cadenas irritent les personnes qui ne partagent pas la position du Président, elles ont créé un lien étroit avec la population des quartiers populaires : « Hugo Chávez nous a éclairés. Il nous a donné une conscience politique grâce à ses discours. Lui, il nous explique », raconte Antonia Aldana, résidente de Catia, banlieue de Caracas. Clémentine Berjaud, qui prépare sa thèse de science politique à Paris-I sur « Les réceptions des discours télévisés d’Hugo Chávez », évoque « une publicisation de la révolution bolivarienne » tout en signalant que « la télévision par câble ou satellite est très largement répandue au Venezuela, ce qui permet de relativiser le poids des questions proprement politiques au sein de l’offre télévisuelle ». Lors de ses interventions, Hugo Chávez traite son adversaire Henrique Capriles de « bourgeois », de « petit Yankee » ou, plus régulièrement, de « majunche » (« chose sans valeur, sans importance »). Ses collaborateurs ne sont pas en reste. Nicolas Maduro, le ministre des Affaires étrangères, avait traité Henrique Capriles de « pédé ». Il s’est par la suite excusé auprès de la communauté gay, tout en désignant les membres de l’opposition comme des « petits snobs fascistes » (« sifrinitos fascitas »). Certes, Hugo Chávez se sert beaucoup de l’audiovisuel public, mais la presse écrite nationale est majoritairement acquise à l’opposition, de même que certaines radios et Globovision, chaîne d’actualité qui affiche son antipathie envers le socialisme. Le coup d’État de 2002, qui a écarté Hugo Chávez du pouvoir durant 48 heures et dans lequel les médias privés ont joué un rôle, a d’ailleurs laissé des traces.