Créer des pôles de développement humain

Les conclusions de la consultation sur la refondation de l’école ont inspiré ce texte de réflexion à quatre acteurs du monde éducatif.

Politis  • 18 octobre 2012 abonné·es

Progression des violences à l’école, démoralisation croissante des communautés éducatives : ces phénomènes montrent les limites d’une organisation trop centralisée et d’un mode d’éducation à la citoyenneté principalement individuel. Ce mode de fonctionnement, dont la dérive technocratique est connue, ne parvient plus à gérer l’influx démultiplié des médias sur les publics, souvent au compte des marchés. L’aspiration à la reconstruction du vivre-ensemble et à la mise en œuvre d’une éthique fraternitaire doit être prise en compte ; cela conditionne la transmission des savoirs et le dialogue des cultures.

Ainsi, pour rompre l’isolement des enseignants dans leur exercice professionnel, un rapport du Sénat préconise de « favoriser l’émergence de collectifs enseignants hors des logiques hiérarchiques ». D’une manière générale, une organisation plus décentralisée et participative doit permettre le recours à diverses stratégies autogérées : nomination de référents et de médiateurs culturels, meilleure intégration du monde associatif et à vocation d’éducation populaire… Il importe aussi d’évaluer les conséquences de l’orientation privilégiée depuis une décennie, au nom de la compétitivité internationale et d’une rentabilité immédiate. L’une des dérives de l’« économie de la connaissance » réside dans l’accroissement des disparités entre les champs disciplinaires. Instrumentalisation des sciences et des techniques, marginalisation des lettres et sciences humaines et sociales (LSHS) : ce déséquilibre a des incidences au plan des relations de genre, le champ techno-scientifique étant majoritairement masculin à la différence de celui des LSHS. Comparée avec l’ensemble des instituts publics et privés à caractère industriel, commercial et de gestion, la somme des établissements spécialisés dans ce champ est notoirement insuffisante.

En lycée, la filière scientifique est développée comme pôle d’élite pendant que décline la filière littéraire, dont l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) a préconisé la réhabilitation dans un rapport en 2006. Chez les publics scolaires, en particulier populaires, ce déséquilibre est une autre source de perte de valeurs et de repères, en somme de déculturation. Au-delà, la crise de croissance de l’Union européenne manifeste l’échec de cette orientation productiviste. Le rééquilibrage de la politique de recherche et d’enseignement est conditionné à la valorisation de programmes complémentaires, dont les budgets doivent être garantis, par exemple par péréquation d’une partie des budgets octroyés par les lobbies, entre autres industriels, comme c’est le cas aux États-Unis. Dans ce sens, la future loi d’orientation doit stipuler le principe de protection des savoirs académiques, « biens immatériels de l’humanité ». Une concrétisation de ce principe réside dans la création, en contrepoint des pôles de compétitivité et de ceux dits d’excellence, de « pôles de développement humain ». Ainsi, l’adaptation du système universitaire et éducatif à la mondialisation et à la société des médias nécessite la création d’instituts à caractère interculturel, dont un Institut des langues de France et un Institut international de la francophonie.

Un dispositif de cette envergure contribuera à freiner l’anglomanie technocratique et à optimiser les partenariats interrégionaux (dans l’espace européen) et francophones, ces derniers étant souvent cantonnés à la préservation d’intérêts peu compatibles avec la démocratie. L’opinion publique maîtrise-t-elle par exemple les enjeux géopolitiques du 14e Sommet de la francophonie (Kinshasa, 13-14 octobre) ? Concernant les personnels-ressources, serait intéressante la création d’un statut de médiateur interculturel dont l’université – et en particulier ces instituts – garantirait la formation. Un référentiel interdisciplinaire permettrait d’éduquer à une citoyenneté éclairée aux plans communicationnel, psychosocial, anthropologique, géopolitique, juridique… Dans des établissements situés en ZEP, pourrait être mise en place une expérimentation, objet d’expertise et d’amplification. La préconisation du ministre Peillon d’instaurer un enseignement de la morale laïque trouverait là un point d’appui. Les consultations préparatoires au vote de la loi d’orientation permettront-elles des avancées dans ce sens ? Il est de la responsabilité des intervenants de construire des alternatives qui donnent leur vrai sens au mot de « refondation » ainsi qu’aux missions de recherche et d’enseignement.

Société
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