Faut-il accepter l’argent du Qatar ?
Des élus locaux ont sollicité le Qatar pour qu’il investisse dans nos banlieues. Pourquoi pas, si cela soulage des problèmes concrets ? nous dit Hamou Bouakkaz. Pas question, répond Alexis Corbière : outre que ces questions relèvent de l’État social, on ne peut ignorer l’origine de l’argent.
dans l’hebdo N° 1222 Acheter ce numéro
Je considère que tout ce qui contribue à apporter de l’argent et de la mobilisation dans les banlieues est positif. Et ce n’est pas parce que c’est de l’argent qatari qu’il ne faut pas l’accepter. Si c’était de l’argent israélien, brésilien ou papou, je trouverais cela très bien aussi, du moment que cela s’insère dans un partenariat stratégique. Je ne vais pas être très « politiquement correct ». Je sais pourquoi certains critiquent cet investissement qatari : tout simplement parce que la colonisation est encore très présente dans les esprits. Autant il est normal et positif d’être partenaire des Américains, des Allemands ou d’autres Occidentaux, autant le fait que ces espèces de « bougnoules », anciens colonisés, nous donnent un coup de main pour résoudre un problème français est insupportable pour beaucoup de gens. La question de fond est de savoir et de reconnaître dans quel monde nous évoluons. Or, il faut l’accepter, nous vivons dans un monde-village. Vous ne pouvez pas expliquer, d’un côté, que c’est très bien de vendre des armes au Qatar, que celui-ci ait une place au conseil d’administration d’Airbus (EADS) — et il occupe là une position infiniment plus importante pour peser sur notre économie — et, d’un autre côté, qu’il ne faut pas qu’il contribue à un partenariat public entre deux États dans nos banlieues. Si les Qataris avaient 50 millions d’euros à donner à une fondation pour aider à la recherche sur la vue, étant personnellement aveugle, je les accepterais immédiatement ! Et si c’étaient les Israéliens (qui sont d’ailleurs très en avance sur ce sujet), je les accepterais pareillement.
J’ai aussi entendu des accusations sur cet investissement qui serait une face cachée de l’islamisme. C’est ridicule ! La France a-t-elle si peu confiance en elle et en son modèle universel qu’elle ne puisse pas résister à une aide de 50 millions ? La France pense-t-elle que l’islamisme va se développer en banlieue parce que le Qatar y mettra des moyens ? Bien au contraire, une des façons d’enrayer la montée de l’islamisme, c’est de tout mettre en œuvre pour raccrocher ces banlieues au modèle universel français. La gauche a un peu modifié la finalité de cet investissement, ce qui va dans le bon sens. Si ces 50 millions d’euros contribuent, dans le cadre d’un fonds avec l’État, à soulager des problèmes qui empêchent les gens de vivre et de prospérer, à faire en sorte que des acteurs émergent pour être partie prenante dans un processus vertueux de croissance, ce sera excellent !
Que le Qatar subventionne un fonds pour nos banlieues heurte en fait notre conception indicible de l’inégalité des races. C’est exactement ce qu’avait dit Claude Guéant il n’y a pas si longtemps. Plus sérieusement, la France est partenaire avec le Qatar dans de nombreux domaines. Je fais confiance à Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, pour mettre en place un comité de gestion et un jury qui soient inattaquables dans la sélection des projets. Il y a trop de talents gâchés en banlieue, et trop de gens sont désespérés. On ne peut pas pleurer sur le fait que tant de jeunes de banlieue partent tenter leur chance à Londres et cracher sur l’argent du Qatar. Pour la plupart de ces jeunes, aujourd’hui, toutes les portes sont fermées ; il ne leur reste que la mosquée ou l’exil londonien. Je ne veux plus de cela.
Il est affligeant qu’en France, cinquième puissance économique du monde, germe l’idée dans la tête d’élus locaux qu’il est judicieux de quémander à un pays étranger, quel qu’il soit, ou à un investisseur privé, de réparer les carences de la République. Cette disposition d’esprit, d’inspiration ultralibérale, alimente l’exécrable mécénat, c’est-à-dire le bon vouloir du prince. Cela devrait ulcérer chaque républicain conséquent. Qui ne voit pas que cette méthode est dévastatrice ? Pas assez de moyens pour les hôpitaux, l’école, la recherche, etc. ? Nos apprentis sorciers ont la réponse. Plutôt que de lutter collectivement pour une autre répartition des richesses, la défense du service public et le refus de l’austérité, ils tendent la sébile à quelques puissants et profiteurs, afin qu’ils daignent accorder leurs bonnes grâces, en attendant un juteux retour sur investissement. C’est accepter la démolition de l’État social. Ce rabaissement du rôle des élus est l’enfant monstrueux des politiques de rigueur impulsées par l’UMP et perpétuées sous un gouvernement PS-EELV.
C’est pourtant à la puissance publique, à l’État, d’assurer le développement du territoire. C’est à elle de promouvoir une politique de la Ville qui assure une réelle égalité. C’est à elle de veiller à ce que les citoyens ne subissent pas, selon leur quartier, de discriminations. C’est donc à elle, pour l’intérêt général, de forger les outils nécessaires. Dans le cas présent, pour financer l’économie, un pôle public financier doit rompre avec le comportement des banques privées qui abandonnent leur rôle fondamental, préférant la spéculation à l’investissement. C’est cela qui aidera « les entrepreneurs des quartiers en difficulté ». Les injustices criantes ne peuvent être réparées par quelques puissants flairant la bonne aubaine. C’est encore plus vrai pour une relance sociale et écologique de l’activité, et non un encouragement au productivisme. Ainsi, la poignée d’élus, majoritairement de droite, prétendue « Association nationale d’élus locaux pour la diversité » (Aneld), qui ont cru malin d’aller s’adresser à l’émir du Qatar pour « qu’il investisse dans nos banlieues » est totalement déboussolée. Elle rejoint la cohorte des idiots utiles à l’ultralibéralisme qui acceptent la libre-circulation des capitaux privés rapaces qui vampirisent les entreprises et attaquent les dettes souveraines sur les marchés. J’admets, avec regret, que le partenariat « public-privé » est à la mode actuellement, bien que souvent ruineux pour les collectivités. Ce n’est pas une raison pour se résigner et se lancer dans une nouvelle fuite en avant. Ici, l’exemple est trop caricatural pour que l’on reste silencieux. Car, enfin, on est en droit de s’indigner de l’origine de cet argent.
Le Qatar est une monarchie absolue ** où les partis politiques sont interdits. Les syndicats, à peine autorisés depuis cinq ans pour les nationaux, sont exsangues. Les ouvriers étrangers, employés notamment pour le Mondial 2022 de football, y sont « honteusement exploités », selon la Confédération des syndicats internationale (CSI). Il leur est interdit de vivre dans les mêmes quartiers que les Qataris. Demander au Qatar d’aider à « la promotion de la diversité » dans nos banlieues est une farce de mauvais goût. Un peu comme si, dans les années 1980, on avait demandé à l’Afrique du Sud, où régnait l’apartheid, de financer la lutte contre le racisme dans l’Hexagone.