Fin de partie à Paris-Villette ?
La Mairie de Paris est décidée à fermer la salle dirigée par Patrick Gufflet.
dans l’hebdo N° 1224 Acheter ce numéro
Le théâtre Paris-Villette va-t-il disparaître ? Ou du moins être fermé et remplacé par une autre équipe qui aura une tout autre mission ? Il y a presque un an que les hostilités sont ouvertes entre le directeur du théâtre, Patrick Gufflet, et la Ville. Pourtant, Gufflet en est le directeur historique : il a pris les commandes en 1987, transformant ce qui était le Théâtre Présent en un Paris-Villette obstinément orienté vers les jeunes équipes et les styles imprévus. Les responsables ont changé à la Mairie : Christophe Girard, qui représentait une conception de la culture plutôt élitiste et qui aurait dû être sensible aux choix de Gufflet, n’aimait pas l’activité de Paris-Villette et a favorisé une mise en cause de son directeur. Aujourd’hui, Girard est remplacé par Bruno Julliard, qui ne change rien à la ligne de tir de la municipalité.
La querelle se situe à plusieurs niveaux. D’abord, elle est liée à des considérations financières. Le théâtre Paris-Villette, dont la Ville est le principal subventionneur (à 90 %), a additionné quelques déficits, dont le total atteint aujourd’hui 250 000 euros. C’était inévitable pour Gufflet, qui déclare : « La Mairie donne à présent un budget de 2 millions d’euros à la Maison des Métallos et elle s’étonne que j’aie accumulé un déficit réel de 250 000 euros avec un budget annuel de 865 000 euros. » La Ville, donc, critique ces pertes et n’assure la subvention en cours que jusqu’en… décembre. Le désaccord est aussi, sans doute, lié à des problèmes de personne. Patrick Gufflet travaille en solitaire. En bon directeur, il affirme ses goûts, qui ont favorisé l’éclosion de Claire Lasne-Darcueil, Jean Hatzfeld, Benoît Lambert, Isabelle Lafon, Cécile Backès… Rarement des gens devenus très connus. Il a tout de même lancé Yasmina Reza et Joël Pommerat ! La Mairie reconnaît ces exceptions, mais conteste une politique globale dans un communiqué du 27 septembre : « Si la Ville reconnaît la qualité et l’audace de la programmation de Patrick Gufflet, qui a contribué à révéler de grands talents tels que Pommerat et Reza, elle a constamment réaffirmé que le soutien à la création devait s’accompagner d’une politique volontariste en direction des publics, afin que le théâtre puisse remplir pleinement sa mission de service public. » On voit bien, qu’entre les lignes, Gufflet est accusé de ne pas faire un théâtre populaire. Et, pour prouver qu’il y a une baisse de fréquentation, on compare les saisons où s’est produit Fabrice Luchini et celles où il n’y a eu que des artistes peu connus !
Le personnel du Paris-Villette, justement inquiet de son avenir, mène un combat face à la Ville depuis plusieurs mois. Le mastodonte voisin, le Parc de l’établissement public de La Villette et la Grande Halle, que préside Jacques Martial, est venu apporter un soutien rapide : les deux structures ont mis leurs programmations en commun sur tous leurs documents. Et bien des artistes ont rejoint les deux manifestations qui ont eu lieu la semaine dernière. À l’une d’elles, Joël Pommerat a lu un texte, dans lequel il affirmait notamment, et vigoureusement : « Ce qui m’a choqué, c’est le comportement, c’est le cynisme et les mensonges des responsables de la Mairie de Paris, développés à travers différents communiqués. Avec un argumentaire très bien étudié. Cette opération de communication m’a fait penser au dicton“ Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ”. Et dans le genre, c’est du grand art. […] Je trouve les moyens employés dégueulasses. Car ça a des répercussions énormes. Un théâtre de création est en train de fermer ! Et c’est là qu’on nous trompe le mieux. »
Les responsables ont appelé l’État, propriétaire des murs, à l’aide. Aurélie Filippetti n’a apporté qu’un soutien prudent dans un message prônant le dialogue. Une rencontre a finalement réuni les différentes parties en présence, jeudi dernier. Mais Bruno Julliard n’y a fait aucune révélation, continuant d’affirmer que la Ville avait un autre projet. Quel est ce mystérieux projet ? L’équipe de Patrick Gufflet n’a plus que quelques semaines avant d’être en cessation de paiement.