La parade du fiasco
Bug ! ou l’échec comme principe du monde moderne.
dans l’hebdo N° 1222 Acheter ce numéro
Les meilleurs feuilletons s’écrivent à deux, même au théâtre. Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien se sont associés pour composer Bug !, qui emprunte le mouvement de tourbillon du monde moderne pour mieux l’épingler, l’analyser et le dénoncer. Point de départ : au château de Versailles, devenu le temple de la mondanité, deux informaticiens débutants, une jeune femme et un jeune homme, viennent chercher leur prix obtenu dans un concours de logiciels. Pas de chance, un bug se produit. Pas de prix, mais une mutation des lauréats en chimpanzés ! Les voilà obligés d’aller traquer le bug lui-même pour le détruire et recouvrer leur forme humaine. Leur périple ne suivra pas une ligne droite. Planétaire, il sautera du passé au futur. Voilà les hommes-singes à Auschwitz, dans la chambre d’une femme qui a perdu la mémoire, dans l’atelier du sculpteur qui conçoit un mémorial pour le Rwanda, ou bien sur un terrain de football.
La pièce de Bauer-Adrien, qu’Adrien met en scène dans un grand mouvement carnavalesque, s’envole avec la fantaisie des romanciers populaires mais s’appuie sur un concept d’aspect scientifique : à partir du moment où l’informatique a inventé le bug, ce terme qui signifie ratage devient là un principe scientifique – l’échec est l’un des moteurs de la société où nous vivons – et un principe artistique – tous les tableaux qui composent cette action folle se terminent par des fiascos.
Derrière cette course à l’échec se dessine une charge contre une certaine « modernité ». Passent dans la galerie des glaces : Jean Genet (épargné par la satire), un milliardaire qu’on reconnaîtra, Michel Houellebecq, Jeff Koons, Michael Jackson… Que de vacuité dans nos parades artistiques, semblent dire les auteurs, qui écrivent dans l’esprit apocalyptique d’une littérature très contemporaine tout en se souvenant des folles exagérations des années 1970. Il y a du Magic Circus, dans ce Guignol, mais soumis aux circuits intégrés d’Apple ou de Microsoft. Le style est appuyé, le bon goût interdit, mais, porté par treize acteurs (Alain Gautré, Bernadette Le Saché, Tony Mpoudja…), des prothèses et une technologie chahuteurs, ce moment de provoc’ et de mise en cause secoue heureusement le politiquement culturel et artistique du circuit subventionné.