Mon bahut va craquer
Au lycée professionnel Théophile-Gautier, dans le XIIe arrondissement parisien, les violences se multiplient. Les enseignants ont arrêté le travail et mettent en cause le manque de moyens.
dans l’hebdo N° 1221 Acheter ce numéro
Lundi 1er octobre, 9 h 30. Devant l’entrée du lycée Théophile-Gautier, les élèves ont trouvé porte close. Dix jours que cela dure. À l’intérieur, une trentaine de profs (sur environ quarante) ont, ce matin encore, voté en assemblée générale la suspension des cours pour faire valoir leur droit de retrait. Ce droit pour les salariés « face à un danger grave, imminent et inévitable » d’arrêter leur activité tout en conservant leur salaire. C’est que derrière les murs tranquilles de ce lycée professionnel parisien, à deux pas de la « Bastoche », la violence gronde. Début septembre, un élève, déjà connu pour des « problèmes psychologiques », a sauté à la gorge du proviseur adjoint. Un incident qui a fait la une des journaux. Mais qui n’est en réalité que la « goutte d’eau » d’une rentrée sous tension. Une rentrée où « on a vu dès le mois de septembre la salle des profs plonger », rapporte Michèle Sibony, enseignante en lettres et histoire. Une rentrée faite de classes surchargées, de pannes de matériel faute de personnel pour le réparer et, surtout, d’un manque criant d’adultes.
Théophile-Gautier, pourtant plus grand lycée professionnel de Paris, avec près de 500 élèves (répartis sur deux établissements), ne compte cette année que deux surveillants, collés aux tâches administratives, pas de médecin scolaire, pas d’assistante sociale, et une infirmière qui n’est présente qu’une demi-journée par semaine… « Chaque jour, j’ai trois ou quatre demandes d’élèves qui veulent aller à l’infirmerie, témoigne une enseignante, trente-cinq ans de métier. Je les laisse y aller, je sais qu’ils ont besoin de souffler, de vider leur sac… Mais aujourd’hui, il n’y a plus personne pour jouer ce rôle d’adulte-relais, alors la tension monte. » Les portables qui sonnent en classe, les élèves qui se chamaillent ou s’insultent… « La vulgarité est incroyable », dit, en sortant un cahier où elle a répertorié les pires injures entendues, Sandrine Labat. La jeune prof de maths et de physique en a pourtant vu d’autres lorsqu’elle enseignait en zone de prévention violence (ZPV) en Seine-Saint-Denis. Mais la situation d’aujourd’hui l’inquiète davantage : « Ce mode de communication se banalise, et on n’a plus la possibilité de reprendre systématiquement les élèves. » « On nous demande de gérer l’ingérable, soupire Michèle Sibony. Les élèves sont le reflet de la société. Ils sont aussi des victimes du chômage, du mal-logement, comme les adultes, ils ne vont pas bien. » Et à la violence qui monte, l’Éducation nationale répond, hier comme aujourd’hui, par… toujours moins de moyens. « L’observatoire de la violence scolaire promis par Peillon, on s’en contrefiche ! Nous, la violence, on la voit tous les jours. Ce qu’on veut, c’est que ses conditions soient éliminées ! », s’agace Michèle Sibony. « Le changement, on l’a pas vu », persifle à son tour Sandrine Labat, qui estime qu’il suffirait d’un peu plus de personnel et d’une administration moins « arrogante » pour améliorer les conditions de travail et d’étude des élèves.
Et d’autant plus dans la filière professionnelle, traditionnel parent pauvre de l’Éducation nationale, mais qui a subi sous Sarkozy les pires attaques. La réforme qui a fait passer le bac pro de quatre à trois ans a été un tournant, auquel il faut ajouter la suppression de plusieurs heures d’enseignement général, mais aussi des classes relais qui permettaient de lutter contre le décrochage scolaire. Plus globalement, les structures spécialisées, comme les Segpa [^2], fondent comme neige au soleil, laissant à la filière pro le soin de gérer des élèves dont la détresse sociale et psychologique est accrue. « La filière professionnelle ne doit pas servir de variable d’ajustement aux insuffisances de l’école », souligne Alexis Corbière, conseiller de Paris (Front de gauche) et prof remplaçant à Théophile-Gautier. Mardi matin, une délégation de profs et d’élèves se rendait rue de Grenelle pour tenter d’être reçue par Vincent Peillon. Sans grand espoir d’être entendue…
[^2]: Sections d’enseignement général et professionnel adapté.