Travail des femmes : des chiffres et des êtres
Une statisticienne et une sociologue démontent les idées reçues en décortiquant un siècle de statistiques.
dans l’hebdo N° 1223 Acheter ce numéro
Certes, il ne faut pas être allergique aux courbes et aux tableaux. Mais cet ouvrage, qui revient sur le travail des femmes en France de 1901 à 2011, n’est pas qu’une somme pour spécialistes. Si la statisticienne Monique Meron et la sociologue Margaret Maruani nous entraînent dans le grand voyage des chiffres, c’est pour mieux les relativiser, en dévoiler la puissance idéologique, et démonter ainsi les idées reçues : les femmes travaillent plus aujourd’hui qu’hier, elles ont toujours travaillé moins que les hommes, elles s’arrêtent fréquemment pour élever leurs enfants… Autant de fausses évidences battues en brèche par une analyse des données recensées sur un siècle. « Ce qui nous intéresse, expliquent les auteures, c’est la sociologie des chiffres officiels de l’activité féminine, relire comment, au fil des ans, on a compté ou mécompté le travail, l’emploi et le chômage des femmes. »
Le vrai objet d’étude des deux chercheuses est donc moins le travail des femmes que sa visibilité et sa représentation. Au fond, la manière dont a évolué le regard que la société porte sur lui. Un regard qui, « de façon récurrente, occulte l’importance du travail professionnel des femmes, minimise le poids de leur contribution à l’activité économique du pays – et dévalorise par là même leur statut dans la société ». Car être « femme d’agriculteur » n’est pas tout à fait être « agricultrice », « faire des ménages » ou « garder des enfants », pas tout à fait être « aide à domicile ». Quant à la catégorie « femme au foyer », elle peut tout bonnement servir à vous faire sortir de la case « demandeuse d’emploi »… C’est que la frontière entre le travail et le « non-travail » est ténue, fluctuante. Alors qu’avec la crise le nombre des « working poors », autoentrepreneurs ou travailleurs à temps partiel explose, l’ouvrage rappelle la valeur du salariat, forme d’emploi « instituée et reconnue, autonome, clairement identifiable et extérieure à l’univers domestique » qui a révélé le travail des femmes, et participé à leur émancipation. Le volume revient aussi longuement sur le temps partiel (qui concerne aujourd’hui 3,7 millions de femmes et 900 000 hommes), « forme d’emploi construite pour les femmes et qui déroge à la “norme” du temps plein ».
« Pour le meilleur ou pour le pire, soulignent les auteures, les femmes sont des précurseures », toujours aux avant-postes des transformations du monde du travail. Elles souffrent désormais, plus que les hommes, de ce morcellement, de cette invisibilité, de cette dévaluation de l’emploi initiés par le tournant néolibéral. Par cette histoire statistique, Margaret Maruani et Monique Meron ont l’immense mérite de nous rappeler que, derrière la mesure, se cache la politique.