Expulsions : le gouvernement doit trancher
Les cinq associations qui interviennent dans les Centres de rétention administrative attendent « des arbitrages » du gouvernement socialiste en rupture avec la politique du chiffre.
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Petits ajustements ou refonte en profondeur : tôt ou tard, le nouveau pouvoir devra assumer des choix sur sa politique d’expulsions des étrangers. Les cinq organisations qui accompagnent les migrants placés dans les 23 Centres de rétention administrative (CRA) dressaient, mardi 20 novembre, un bilan « catastrophique » de l’année 2011.
Selon elles, la politique du chiffre de l’ancienne majorité conduit à des aberrations et un « irrespect du droit » pour une proportion croissante de migrants retenus. Une politique jugée « ubuesque » sur laquelle le gouvernement socialiste est attendu de pied ferme.
Les « mensonges » de la politique du chiffre
Premier paradoxe de la politique actuelle : un tiers des personnes éloignées depuis la métropole sont Roumains ou Bulgares. 85 % d’entre eux quittent le territoire français au titre de l’aide au retour, mais ils sont désormais placés en proportion croissante en CRA, avant d’être expulsés (6,5 % des personnes placées en rétention en 2011, contre 3,5 % en 2010). Or ces ressortissants européens sont autorisés à circuler au sein de l’Union et… à retourner en France après leur expulsion. « Les Roumains servent à remplir les objectifs chiffrés, car ils font l’objet de procédures expéditives (leurs recours ne suspendent pas l’expulsion) et ils exercent peu leurs droits » , raconte Céline Guyot, de l’Assfam.
En 2011, une part importante des expulsions concerne aussi les Tunisiens arrivés clandestinement après la chute de Ben Ali. En applications des accords européens, une grande partie d’entre eux étaient expulsés vers leur premier pays d’accueil, soit l’Italie. 37,3 % des 5 474 Tunisiens retenus dans les CRA français ont donc été reconduits vers l’Italie en 2011, au prix d’une chasse à l’homme aussi inutile qu’inhumaine, dans certaines villes du sud de la France.
« La communication officielle est basée sur un double mensonge. Les pouvoirs publics tentent de nous faire croire que la France a besoin d’expulser 32 000 personnes par an, alors que les chiffres sont gonflés avec les expulsions de Tunisiens et de Roumains », tranche David Rohi de la Cimade.
Le droit ignoré depuis la loi Besson
Dans leur second rapport annuel commun, l’Assfam, la Cimad, Forum réfugié, France terre d’asile et l’Ordre de malte alertent aussi sur un « recul des droits » pour les migrants. La « loi Besson », entrée en vigueur le 18 juillet 2011, allonge de 2 à 5 jours le délai légal de présentation devant un juge pour une personne retenue. Résultat immédiat : 25 % des migrants retenus ont été éloignés sans être présentés devant un juge depuis l’entrée en vigueur de la loi, contre 8,5% sur la même période en 2010.
Ils perdent de fait la possibilité de demander l’asile, ou faire valoir leurs droits lorsqu’ils sont parents d’enfants Français ou conjoints de Français. « Cela nourrit un profond sentiment d’injustice en rétention », raconte Lucie Feutrier-Cook de l’Ordre de Malte.
Outre-mer, où sont exécutés 48,8% des mesures d’éloignement enregistrées en France, cette réalité est encore plus répandue. « Sur 6000 retenus en Guyane, 274 seulement ont pu faire examiner leur recours », raconte David Rohi de la Cimade. À Mayotte, ce « déni de droit » touche 100 % des retenus et aucune association n’a obtenu de mandat public d’intervention pour accompagner les migrants.
Une « énorme » marge de manoeuvre
Cinq associations qui interviennent en CRA saluent les premiers efforts consentis sur la rétention des mineurs. La circulaire du 6 juillet 2012 remplace la rétention des familles par un régime d’assignation à résidence. Mais elles attendent encore des « arbitrages » importants du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui a pris ses distances avec la « politique du chiffre » tout en affichant sa fermeté. Le chiffre des expulsions, déjà record en 2011, sera dépassé en 2012, annonçait le nouveau locataire de la place Beauvau, le 26 octobre.
« Ni les condamnations de la France [ par la Cours européenne de droits de l’Homme ] ni le changement de gouvernement n’ont infléchi la politique d’enfermement et d’expulsion massive, dénonce David Rohi. Il faut aller plus vite, plus loin et plus fort dans la réforme. Le gouvernement a une énorme marge de manœuvre. »
Pour respecter la promesse du candidat Hollande de faire de la rétention « une exception » , le gouvernement devra entamer « une vraie réflexion sur l’alternative à l’enfermement », jugent les associations.
Elles ont d’ailleurs été reçues en juillet au ministère de l’Intérieur pour demander une réadaptation de leur mission, qui arrive théoriquement à échéance à la fin de l’année 2012. Elles souhaitent notamment améliorer l’encadrement des migrants hors des murs des centres de rétentions. Une seconde entrevue doit être organisée avec le directeur de cabinet de Manuel Valls le 30 novembre. Une première réponse qui devrait donner le ton.
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