« La droite est ouverte aux quatre vents »
Nicolas Lebourg explique comment la droite radicalisée pourrait être tentée de trouver son salut dans une alliance avec le FN.
dans l’hebdo N° 1229 Acheter ce numéro
Le Front national se délecte de la guerre de succession à l’UMP. Nous avons demandé à Nicolas Lebourg, historien des droites extrêmes, son analyse des rapports entre les deux formations.
Le conflit à l’UMP profite-t-il au FN ?
Nicolas Lebourg : Les frontistes savent que, sans alliance, notre système électoral les marginalise. La stratégie de Marine Le Pen était d’imposer une reconfiguration des droites grâce à son score aux élections de 2012, mais son niveau n’a pas été assez élevé pour cela. Le conflit actuel servira toutefois ses fins. Quel que soit le futur de l’UMP, une part de son électorat lui fera payer la note. Quand le FN a obtenu de bons résultats en 1984, c’était en partie avec un électorat de droite voulant faire payer à ses partis leurs divisions, qui avaient bénéficié à la gauche. Même motif, même punition. Par ailleurs, l’affaiblissement de la droite va la mettre en mauvaise posture pour les élections de mi-mandat, qui devraient être profitables au parti frontiste. D’où la tentation alors d’un scénario type régionales de 1998 : des alliances de circonstances avec le FN, s’il le faut imposées localement, face à une direction nationale en manque d’autorité légitime.
Le score inattendu de Jean-François Copé et la pole position de la motion « la droite forte » ne traduisent-ils pas une poussée d’influence du FN sur la droite ?
La droite française n’a plus de colonne vertébrale idéologique, elle est ouverte aux quatre vents. Il y a donc une grande facilité à y greffer des logiciels ou des propositions de substitution. Les diversions sur la burqa, les pains au chocolat… diffusent la vision d’une société atomisée et assiégée par des populations d’origine arabo-musulmane qui seraient un corps unifié socialement, culturellement et religieusement. Cette représentation d’un « nous » composé d’individus concurrents et d’un « eux » solidaire entraîne dans l’imaginaire droitisé une coagulation des insécurités : physique, économique, culturelle. Sur cette conception, une convergence croissante se fait entre droite et extrême droite. Mais, si le FN y répond par la promotion d’un souverainisme national, social, identitaire et populaire, la droite radicalisée s’arrête à la seule dimension altérophobe. À ce rythme, le rapport de crédibilité politique entre droite et extrême droite pourrait bouger au désavantage de la première.
Le Front national ne fait pas partie des « adversaires » de Copé. Va-t-on avec lui vers une alliance UMP-FN ?
Les droites pensent qu’en se crispant sur les questions sociétales et migratoires elles peuvent répondre à la poussée de demande autoritaire induite par la crise. Mais, aux États-Unis, tous les candidats républicains faisant une campagne sociétale ultra-réactionnaire ont perdu. En Catalogne, ce ne sont pas ceux qui faisaient dévier la crise sur une seule revendication identitaire qui ont marqué des points. En France, la droitisation fait perdre la droite depuis 2007. La stratégie de Patrick Buisson est la création d’un bloc sociologique soudant les périphéries de la société française, saisies par ce que le politiste Gaël Brustier nomme des « paniques morales », et l’édification, sur ce bloc, d’un « parti patriote » alliant toutes les droites. Le drame de l’UMP est que la faiblesse idéologique de ses cadres ne leur permet pas de saisir que, plus ils s’enfoncent dans l’agitation altérophobe, plus, selon la formule jadis de François Duprat, « l’électeur préfère l’original à la copie ». L’analyse des transferts de vote entre 2002, 2007 et 2012 montre que l’électeur FN peut voter à droite sur la valeur « travail », édifiant une hiérarchie sociale légitime, et que l’électeur UMP peut voter FN, s’il estime prioritaire l’ethnicisation des questions sociales et sociétales. Autrement dit, la droitisation des sociétés occidentales bénéficie certes aux extrêmes droites, mais place en porte-à-faux les droites radicalisées, car leur autoritarisme sociétal ne suffit pas à masquer leur libéralisme économique et social. Le paradoxe est que l’échec de la stratégie de droitisation, en affaiblissant la droite, peut la porter à chercher alliance avec une extrême droite qui lui amènerait, elle, un surplus socialisant parlant aux classes populaires.