Le changement de l’intérieur
Au fil d’une ascension d’une vingtaine d’années, Manuel Valls a pris de plus en plus de poids au sein du PS. Au point d’inspirer la politique du gouvernement.
dans l’hebdo N° 1228 Acheter ce numéro
À l’Assemblée, ce 6 novembre, Manuel Valls préfère parler foot avec les journalistes que de commenter le « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi » présenté par Jean-Marc Ayrault quelques minutes plus tôt. Le ministre de l’Intérieur sait avoir le triomphe modeste. Et laisser la presse rappeler qu’il était le seul candidat à la primaire socialiste à proclamer que « la TVA sociale est une mesure de gauche » ( les Échos, 7 octobre 2011) quand les autres, et notamment François Hollande, la pourfendaient. Dans l’Énergie du changement (Le Cherche-Midi, 2011), Manuel Valls plaidait alors pour « une augmentation ciblée et modérée de la TVA, en substitution d’une part des charges sociales payées par l’employeur ». Cela « pourrait améliorer sensiblement la compétitivité de certains secteurs industriels fortement exposés à la concurrence », assurait-il. Et s’il imaginait de faire grimper le taux normal à 25 % et le taux moyen à 12 %, sans toucher au taux réduit « pour préserver le pouvoir d’achat des ménages modestes », il estimait pouvoir ainsi doper le PIB de 0,5 % et créer 300 000 emplois. Des chiffres repris par le Premier ministre pour justifier la baisse des charges patronales.
Le dernier des candidats socialistes à la primaire, avec 5,6 %, inspirerait-il la politique du gouvernement ? Le mois dernier, le Nouvel Obs le peignait en « vice-président ». Le dénouement du rapport Gallois accrédite un peu plus cette thèse. Prudent, l’homme rappelle qu’il n’est « que ministre de l’Intérieur mais entièrement ministre de l’Intérieur ». Un poste régalien qu’il convoitait de longue date. C’est en effet sur le terrain de la sécurité que Manuel Valls, élu maire d’Évry en 2001, s’est fait connaître du grand public. Jusqu’à cette élection, ce pragmatique n’était qu’un apparatchik ambitieux, connu des seuls journalistes qui le côtoyaient dans ses fonctions rue de Solferino et à Matignon. Né le 13 août 1962 à Barcelone, le jeune Manuel acquiert la nationalité française en 1982, deux ans après son adhésion au PS. Biberonné au rocardisme et formé à l’Unef, il se lie d’une amitié durable avec le communicant Stéphane Fouks, coprésident d’Euro-RSCG Worldwide, et le criminologue Alain Bauer. En 1986, Manuel Valls devient le plus jeune conseiller régional de France, mais échouera à s’implanter à Argenteuil. En 1993, il aide Rocard à déloger Fabius de la tête du PS et y gagne un bureau à Solferino : secrétaire national à la communication. En 1997, Lionel Jospin l’appelle à Matignon pour s’occuper de la communication et de la presse à son cabinet. À ce poste, il se constitue un carnet d’adresses bien utile pour s’ouvrir les portes des médias.
Après le 21 avril 2002, Manuel Valls, à la recherche de notoriété plus que de popularité, multiplie les coups d’éclat. Hormis lors du référendum interne sur le traité constitutionnel européen, où il défend le « non » avant de se ranger par discipline à l’avis du PS, les « tabous » que brise le député-maire d’Évry le déportent chaque fois un peu plus à droite. Un jour, il se dit favorable aux « quotas » d’immigration. Un autre, pour l’alignement des régimes spéciaux de retraites sur le régime général et l’allongement de la durée de cotisations. Un autre encore, il juge « incontestablement » nécessaire un contrôle de la Commission européenne sur les budgets nationaux. Il remet en question les 35 heures, appelle à une « large coalition qui intègre les Verts et le MoDem » … En 2008, il signe un essai au titre explicite : Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche. Mais c’est encore sur les questions de sécurité que ce « maire d’une commune de banlieue », comme il aime à le répéter, est le plus constant. Lors des émeutes de 2005 dans les banlieues, il a été l’un des trois députés socialistes à ne pas voter contre la prolongation de l’état d’urgence. Il a également été l’un des seuls socialistes à exiger l’extradition de Cesare Battisti. Posture ? Pas vraiment. En 1985, a rappelé le Figaro (6 novembre) à l’occasion de l’expulsion de la militante basque Aurore Martin, il avait quitté la Ligue des droits de l’homme pour protester contre l’opposition de cette association à l’extradition de membres de l’ETA par le gouvernement socialiste. Un an avant d’être appelé place Beauvau, Manuel Valls rendait encore un hommage appuyé aux forces de l’ordre dans un essai, Sécurité, la gauche peut tout changer (Éditions du Moment), dans lequel il faisait sienne une formule d’Auguste Comte : « L’ordre pour base, le progrès pour but. »
Devenu le « premier flic de France », Manuel Valls impose contre la délinquance, bien sûr, mais aussi contre les mouvements de protestation – derrière lesquels il décèle le spectre de « l’ultragauche » à Notre-Dame-des-Landes ou parmi les opposants au Lyon-Turin –, une ligne de « fermeté républicaine », en particulier sur l’immigration. Tout en la nuançant de mesures plus libérales. S’il a renoncé à la délivrance de récépissés lors des contrôles d’identité, il a ainsi confirmé le retour du matricule sur l’uniforme des policiers. S’il a été le premier à déclarer que le droit de vote des étrangers n’était « pas la priorité », il a décidé de faciliter les naturalisations après avoir, dès le 31 mai, aboli la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers. Pour autant, la politique d’immigration de Manuel Valls ne marque pas de rupture significative avec le sarkozysme. C’est flagrant sur la question des Roms, dont le démantèlement des campements cet été vaut à la France d’être à nouveau placée sous surveillance de Bruxelles. Ça l’est aussi avec les reconduites à la frontière, qui, selon la place Beauvau, seront « un peu plus » nombreuses en 2012 qu’en 2011 (33 000).
Nulle rupture non plus sur la question de la laïcité : le ministre se dit « fier d’avoir été un parlementaire qui a voté la loi interdisant le foulard, la burqa », mais assistait, le 21 octobre au Vatican, à la canonisation du jésuite français Jacques Berthieu, missionnaire colonial à Madagascar. Une visite officielle présentée comme une tradition républicaine et « une marque de respect à l’égard de l’Église catholique ». En 2011, le PS avait jugé « particulièrement choquante » la participation de François Fillon à la béatification du pape Jean-Paul II. « La France n’est pas la fille aînée de l’Église, c’est une République laïque », avait-il fait valoir. N’empêche, le discours de Manuel Valls sur « l’ordre républicain » et la sécurité a reçu cet été à La Rochelle une standing ovation des militants socialistes. Rebelote au congrès de Toulouse, où il a électrisé la salle en affirmant que, face à « la loi du plus fort, qu’elle soit celle d’un capitalisme financier débridé […], celle des trafics de drogue [ou] celle de la violence des caïds, il n’y a qu’une seule réponse possible : la République, l’autorité, l’ordre républicain, qui, lui, émancipe ! ». Porté par de bons sondages d’opinion, Manuel Valls installe tranquillement ses idées au cœur du PS. Et si le conseil national élu à Toulouse ne compte que huit « vallsistes », deux de ses plus fidèles soutiens occupent depuis samedi des postes importants auprès d’Harlem Désir. Carlos Da Silva, son suppléant à l’Assemblée nationale et premier fédéral de l’Essonne, est en charge de la mobilisation et des campagnes du PS au secrétariat national. Son directeur de campagne lors de la primaire, Luc Carvounas, sénateur maire d’Alfortville, y est chargé des « relations extérieures » – comprendre avec les autres partis de gauche. Un choix qui n’a rien pour apaiser les relations entre le PS et le Front de gauche. Premier fédéral du Val-de-Marne, Luc Carvounas avait tenté, sans succès, aux dernières cantonales de déboulonner les conseillers généraux communistes sortants en présentant systématiquement face à eux des candidats uniques PS-EELV.
Le temps est loin où Martine Aubry invitait Manuel Valls à « quitter le Parti socialiste » pour être en accord avec ses idées. Celui-ci est resté au PS sans rien changer à son discours. Sa candidature à la primaire n’était qu’un tour de chauffe arrangé avec François Hollande. « Je ne ferai rien contre toi », lui avait-il dit. En se ralliant dès le premier tour et en acceptant d’être son conseiller en communication, l’ambitieux a su gagner l’oreille du Président. Et surtout un poste où il pèse lourd dans les choix du gouvernement.