Le travail du dimanche sur la sellette
Des salariés de Bricorama ont manifesté le 8 novembre devant le siège parisien de Force ouvrière pour réclamer l’abandon de l’action en justice condamnant l’enseigne à fermer le dimanche. Un bras de fer à enjeu national.
Force Ouvrière (FO) a-t-elle réussi à se mettre à dos les salariés en obtenant la condamnation de l’enseigne de bricolage Bricorama à fermer le dimanche ses magasins en Ile-de-France ? Près de 300 salariés ont manifesté le 8 novembre devant le siège parisien de FO pour dénoncer l’irresponsabilité du syndicat qui ne les auraient pas consultés sur leur volonté ou non de travailler le dimanche avant d’attaquer en justice, il y a quelques mois, leur employeur.
Déjà le 9 janvier, deux délégués syndicaux qui avaient alors décidé de « se retirer du syndicat Force Ouvrière » expliquant dans un communiqué ne pas « cautionner » l’action en justice de Bricorama. Les salariés en colère mettent en avant leur « volontariat » et surtout le fait que travailler le dimanche représente jusqu’à 300 euros supplémentaires par mois sur la fiche de paie. Une somme non négligeable pour les nombreux temps partiels précaires. Eux aussi précaires, les étudiants, qui ne peuvent travailler en semaine, y voient une opportunité.
Délégué central FO, Kamel Remache explique cependant que le débat sur le travail le dimanche est clos : « Bricorama a fait travailler illégalement des salariés le dimanche pendant plusieurs mois. C’est inacceptable. La décision de justice doit s’appliquer et est irrévocable » . Le syndicaliste soupçonne une forme de manipulation : « Dans cette manifestation, il y avait aussi des cadres et des directeurs qui défendent la direction et qui poussent les salariés à travailler le dimanche ». Pour Christophe Lecomte, secrétaire adjoint FO-FEC (Fédération des employés et cadres), la défense de Bricorama, qui se pose « en martyr », est injustifiée : « FO a déjà attaqué d’autres enseignes telles que Décathlon, Sephora, et nous continuerons à nous battre dans ce sens ».
Une action en justice, lourdes de conséquences
Au-delà des divisions entre salariés et syndicat, la décision de justice pourrait relancer le débat autour de l’interdiction ou non du travail du dimanche. L’entêtement de la direction de Bricorama y est pour beaucoup. Lors des négociations avec Force Ouvrière, les 7 et 8 novembre, celle-ci a rejeté les différentes propositions du syndicat qui réclamait la mise en place d’un treizième mois, le paiement de l’intéressement à tous les salariés sur la base de 2011, l’arrêt de toute action judiciaire en Cour de Cassation, la pérennisation de la fermeture dominicale des magasins et le maintien des emplois et des salaires. Une demande « trop importante » par rapport aux capacités financières de l’enseigne, a estimé un porte-parole de Bricorama : « Le fait de verser un treizième mois pour l’ensemble des salariés français met la société dans le rouge ». Pourtant, le syndicat s’était montré conciliant et prêt à revoir à la baisse certaines revendications.
Le rejet de toute mesure sociale va de pair avec la bataille sur le terrain judiciaire, qui remonte au 6 janvier, quand le tribunal de commerce de Pontoise, saisi en référé par FO, interdit à Bricorama l’ouverture dominicale de certains de ses 32 magasins franciliens. Un premier avertissement que la direction rejette en continuant d’ouvrir dans l’illégalité ses magasins. Devant le refus, le tribunal de grande instance de Pontoise condamne, début juillet, l’entreprise à des dommages et intérêts d’environ 20 millions d’euros (30 000 euros par dimanche ouvert et par magasin). Le 31 octobre, la cour d’appel de Versailles confirme le jugement.
La direction pointe désormais du doigt FO, mettant en avant que l’amende, qui s’élève désormais à près de 38 millions d’euros, pourrait menacer près de 500 emplois et pourrait provoquer la fermeture d’au moins cinq magasins sur les 95 ouverts en France, qui emploient plus de 2 600 salariés. De son côté, FO continue de mettre la pression sur Bricorama. Pour Bricorama, c’est la « goutte d’eau qui fait déborder le vase » : « Cette astreinte correspond à près de deux années de résultats pour l’entreprise ». En attendant, le montant de l’amende sera fixé le 17 décembre par le juge d’application des peines, alors que le groupe projette de se pourvoir en cassation.
Une loi sur la sellette
Mais cette « affaire » Bricorama met aussi en cause la loi Mallié, du nom du député UMP Richard Maillé, qui régit le travail du dimanche. Depuis 2009, celle-ci a élargi les possibilités de dérogation au repos dominical dans les zones touristiques et dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel (Puce). Un statut dérogatoire délivré par les préfets, que la plupart des enseignes en concurrence avec Bricorama ont obtenu sans peine pour leurs magasins en région parisienne.
Pour, Frédéric Naquet, l’avocat de Bricorama, il faut « mettre fin à cette distorsion de concurrence et à ces zones artificielles » . Tous ouverts ou tous fermés le dimanche ? C’est la question qui devrait désormais se poser au législateur (lire notre entretien). Bien qu’interpellé par le patron de Bricorama, le gouvernement ne semble pas vouloir, pour le moment, intervenir sur cette question qui divisait encore il y a quelques mois le Parti socialiste.
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