Leila Shahid : « L’attitude de l’UE est scandaleuse »
Déléguée de la Palestine auprès de l’Union européenne, Leïla Shahid dénonce
la « schizophrénie » des Européens, qui n’en finissent pas de renforcer leurs liens commerciaux avec Israël.
dans l’hebdo N° 1228 Acheter ce numéro
Elle fut pendant treize ans la représentante de la Palestine en France. Depuis six ans, Leïla Shahid défend la cause de son pays auprès de l’Union européenne. Une tâche dont la difficulté est encore mise en lumière au cours des derniers jours. Derrière la question palestinienne, c’est toute la faiblesse et le conformisme de l’Europe qui apparaît.
L’Union européenne agit-elle pour obtenir un arrêt de l’offensive israélienne sur Gaza ?
Leïla Shahid : Malheureusement, il n’y a pas de pressions européennes. J’ai été profondément choquée par les propos de Mme Ashton, représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, qui parle du « droit à l’autodéfense » d’Israël. Cette position, qui rejoint la position américaine, vise à faire croire que la nouvelle tragédie qui frappe Gaza est la responsabilité de la population qui est assiégée et affamée depuis cinq ans. C’est une position scandaleuse. L’Union européenne (UE) s’était déjà distinguée lors du dernier conseil d’association avec Israël, en juillet dernier. Les accords signés dans ce cadre donnent aux partenaires de l’Union européenne énormément d’avantages commerciaux, économiques, technologiques, et mêmes militaires. De tous les partenaires, c’est Israël qui profite le plus de ces avantages. L’accord avait été suspendu à la veille de l’offensive militaire contre Gaza de 2008. Cela, grâce à une décision du Parlement européen. Mais en juillet dernier l’UE, et les États membres ont accueilli M. Lieberman et accordé à Israël tout ce qu’il demandait. Ce qui fait d’Israël le premier partenaire économique de l’Europe. Le volume des échanges commerciaux avec Israël s’élève à 30 milliards d’euros. Il y a donc un immense fossé entre les positions de l’Union européenne sur le papier et ses pratiques. Ainsi, en mai 2012, les Européens ont adopté un texte qui parle du droit à l’autodétermination, des frontières de 1967, de Jérusalem comme capitale des deux États, du droit des réfugiés sur la base de la résolution 194 des Nations unies. Il y avait là tous les ingrédients pour la reconnaissance d’un État palestinien. C’est un comportement schizophrénique.
Comment expliquez-vous l’offensive israélienne sur Gaza ?
M. Netanyahou a fait assassiner Ahmad Jaabari, avec lequel Israël négociait. Ce dirigeant du Hamas avait joué un rôle prépondérant dans la libération du soldat israélien Gilad Shalit, comme dans la trêve qui avait pratiquement duré cinq ans. De plus, Israël sait pertinemment que la plupart des tirs de roquettes ne sont pas le fait du Hamas, mais du Jihad islamique. Il ne faut pas oublier non plus que les raids sur Gaza ne cessent jamais. Quelques jours avant l’assassinat d’Ahmad Jaabari, un adolescent de 14 ans, qui jouait au football, avait été abattu. M. Netanyahou se livre donc à une manipulation. Il est choquant que les Européens refusent de la voir.
On a tout de même l’impression qu’une réelle pression s’exerce sur Israël pour obtenir une trêve…
Il y a une prise de conscience internationale, mais surtout arabe. Et, principalement de l’Égypte. J’étais au Caire quand l’assassinat de Jaabari a été annoncé. Dès le lendemain matin, le Président Morsi a envoyé à Gaza son Premier ministre. Il ne peut pas se permettre d’apparaître aussi insensible à la tragédie de Gaza que ne l’était son prédécesseur, Hosni Moubarak. Mais, il faut dire aussi que ni les Israéliens ni le Hamas n’ont intérêt à une aggravation du conflit. Les Israéliens ont déclenché la guerre, mais ils ne savent pas comment l’arrêter. Une partie de l’opinion gronde aujourd’hui contre le coût de cette opération militaire. Le Hamas, lui aussi, a intérêt à un cessez-le-feu. Il sait le prix à payer pour la population en cas d’offensive terrestre d’Israël. Et il ne peut pas se permettre d’embarrasser le nouveau pouvoir égyptien.
Et la France, dans tout cela ?
On attend d’elle qu’elle joue un rôle de premier plan. Or, aujourd’hui, on assiste à une véritable régression. C’est très grave, pas seulement pour la France, mais pour toute l’Europe. Historiquement, la France a longtemps été la locomotive de l’Europe sur la question palestinienne. Sous Mitterrand – on se souvient de son discours à la Knesset, en 1982 –, mais aussi avec Giscard d’Estaing, et avec Chirac. Aucun autre pays n’est capable d’occuper cette place. C’est la raison pour laquelle une abstention de la France sur la résolution que le Président Mahmoud Abbas va déposer devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 29 novembre, serait désastreuse. Hélas, c’est ce qui semble se préparer. Lorsque Catherine Ashton a proposé lundi que tous les États membres de l’Union européenne s’abstiennent, plusieurs d’entre eux ont protesté. Pas la France.