Les écologistes sur le fil

Après les opérations musclées menées contre les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, EELV critique l’action du Premier ministre, sans remettre en cause sa présence au gouvernement.

Patrick Piro  • 8 novembre 2012 abonné·es

On avait jusque-là peu entendu la voix des ténors d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), alors que les gardes mobiles s’élançaient à nouveau, la semaine dernière, contre les occupants illégaux de la zone pressentie pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à 30 km au nord de Nantes. Avec cette vague d’assauts, plus violente que les précédentes [^2], les langues se sont déliées. « Incompréhensible », « complètement disproportionné », « intolérable », « absurde »

Depuis quelques jours, il existe un consensus au sein de la direction d’EELV pour exprimer plus que des protestations verbales contre les interventions à Notre-Dame-des-Landes. L’occasion se présente avec l’appel à une « mobilisation massive   », le samedi 17 novembre, par les associations locales en lutte contre le projet – agriculteurs, occupants « illégaux », élus… [^2]. Les écologistes, qui tiennent un Conseil fédéral ce jour-là, envisagent de le délocaliser à Nantes, et de dégager du temps pour participer à la manifestation, qui pourrait réunir des milliers de personnes. Il s’agira d’une « déambulation » au sein de la zone préemptée par le projet d’aéroport, avec des arrêts sur les sites où les forces de l’ordre ont rasé des maisons ou des lieux de vie, dans le but d’y « reconstruire, au moins symboliquement, des abris » , explique Michel Tarin, l’un des animateurs de la lutte. Toutes les forces sont les bienvenues, « encagoulées ou sous une banderole politique, c’est le rassemblement qui nous fera gagner » , estime l’agriculteur, même si cet œcuménique fait débat au sein des opposants.

[^2]: voir acipa.free.fr ou zad.nadir.org

La maire de Montreuil (93), Dominique Voynet, exprime son « trouble profond » à François Hollande, le député Sergio Coronado interpelle le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à l’Assemblée nationale : « Le changement, ça ne peut pas être la répression contre des manifestants non-violents […], l’entêtement sur un projet dont l’utilité […] n’a jamais été démontrée […].  » Son collègue Noël Mamère juge que « le gouvernement a dépassé les limites […], et l’on est en droit de s’interroger sur la poursuite de notre soutien à un gouvernement qui utilise la force comme ses prédécesseurs pour imposer un projet dont ne veulent pas les habitants [^3] ». L’abandon de l’équipement était présenté, il y a un an et demi, comme une condition impérative d’une alliance gouvernementale avec les socialistes, au même titre que l’engagement vers une sortie du nucléaire. Cependant, comme ce fut le cas il y a quelques semaines lors du vote sur le traité européen (TSCG), la mise en garde du virulent député de la Gironde ne trouve pas de relais chez les cadres de son parti. « La divergence sur Notre-Dame-des-Landes a été actée avec le PS, pas de surprise sur ce plan », veut-on dédramatiser. Même au sein de l’aile gauche, où Jérôme Gleize précise sa ligne jaune : « Tant que la participation au gouvernement ne met pas le parti à sa botte, l’accord tacite entre EELV et le PS tient. » L’effervescence du bocage nantais, la levée de boucliers du milieu associatif, la constitution de comités de soutien dans toute la France ne risquent-elles pas, par ricochet, d’entamer le crédit du parti écologiste, que l’opinion publique associe, peu ou prou, aux choix gouvernementaux ? Noël Mamère le pense, alarmé de la « provocation et du mépris » de socialistes qui préfèrent, en soutenant l’aéroport, satisfaire « leurs barons » plutôt que d’engager la transition énergétique. « Ce que la loi de finances 2013 confirme, en n’octroyant qu’une place résiduelle à la fiscalité écologique. » Mais, là encore, l’inquiétude du député trouve peu d’écho. « Le risque politique, pour nous, est peu probable, pondère Sergio Coronado, les écologistes jouent plutôt bien leur partition sur ce coup. » Dominique Voynet rappelle que les militants Verts s’affichent depuis l’origine aux côtés des opposants locaux, « et dans le respect de leur lutte ». « Il y a une bourrasque, mais nous tenons sur notre fil », commente Jean-Philippe Magnen, l’un des porte-parole d’EELV.

Et puis Cécile Duflot s’est exprimée. La ministre du Logement, qui reste tacitement commise à la gestion du subtil équilibre de la position d’EELV face au PS, a jugé que « la répression et le manque de dialogue » n’étaient pas « la bonne méthode [^4] ». Des propos « courageux et équilibrés », salue le sénateur Jean-Vincent Placé, numéro deux du parti. D’autant qu’ils n’ont pas réprimandé le Premier ministre, même si Jacques Auxiette, président socialiste de la région Pays-de-la-Loire et complice sans faille de Jean-Marc Ayrault sur le dossier de l’aéroport, s’est chargé de les juger « irresponsables [^5] ». Les insinuations sur d’éventuelles contradictions agacent d’autant plus les cadres écologistes qu’ils ont le sentiment que l’abcès Notre-Dame-des-Landes valide leur stratégie. « La grande majorité du parti, rapporte Pascal Durand, approuve toujours notre participation au gouvernement, que je considère plus qu’utile que jamais pour tenter de convaincre le PS qu’il fait fausse route. » Le secrétaire national a sollicité la semaine dernière un rendez-vous avec le Premier ministre et le président de la République (jusque-là silencieux), pour demander l’arrêt des interventions violentes à Notre-Dame-des-Landes, l’abandon du projet et l’ouverture d’un « grand débat » sur ce type d’infrastructures. « Si l’on parle autant de l’aéroport aujourd’hui, c’est précisément parce que notre participation au gouvernement nous rend audibles, au contraire d’une opposition puérile du style “Front de gauche”, insiste Jean-Vincent Placé. Il n’est que de lire la presse de droite, qui voit une “dictature des écolos” à l’œuvre parce que nous assumons nos désaccords. »

Et s’il se pose une question de crédibilité, c’est d’abord à Jean-Marc Ayrault qu’elle s’adresse, estime Jérôme Gleize, lequel soupçonne ses collègues de tourner autour du pot. « Il fait gaffe sur gaffe. On ne peut pas éluder le fait que sa méthode est en train de conduire tout le monde vers le gouffre, y compris ses partenaires politiques. Nous n’avons pas encore perdu sur le chapitre Notre-Dame-des-Landes. Mais, à un moment ou à un autre, c’est bien l’alternative “Ayrault ou nous” qui risque de se poser… »

[^2]: Une dizaine de blessés légers de part et d’autre.

[^3]: AFP, 30 octobre.

[^4]: RTL, 31 octobre.

[^5]: Libération , 1er novembre.

Politique
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