Les effets affectifs de la colonisation

L’historien Benjamin Stora revisite son oeuvre à la lumière de récents séjours au Viêt Nam, au Maroc et en Algérie.

Olivier Doubre  • 15 novembre 2012 abonné·es

Entre 1995 et 2002, l’historien Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie et de l’histoire de ce pays où il est né en 1950 au sein de la communauté juive constantinoise, a vécu successivement au Viêt Nam, en Algérie et au Maroc. Trois anciennes colonies françaises (ou protectorats) qu’il (re)découvrit à la fin du siècle dernier et à l’orée du nouveau millénaire. Ce sont ces Voyages en postcolonies qu’il raconte aujourd’hui dans un livre assez différent de ses ouvrages précédents. Celui-ci traduit en effet, comme son titre le suggère d’emblée, une inflexion du travail de l’historien, qui s’ouvre ici plus nettement à « l’univers » des postcolonial, subaltern et/ou cultural studies (pour conserver leurs appellations anglo-saxonnes), univers duquel il est « longtemps resté éloigné ». S’agit-il là d’un tournant dans son œuvre ? On ne saurait être aussi catégorique. Toutefois, Stora reconnaît aujourd’hui « l’apport majeur » de ces nouvelles approches, d’autant plus qu’à partir de son retour en France, en 2002, celles-ci sont devenues ou vont devenir « fondamentales pour plusieurs raisons », en particulier du fait des polémiques sur l’héritage de la colonisation (comme le débat autour de la loi de 2005 vantant ses « effets positifs » ) ou la place toujours plus grande qu’elle tend à occuper dans « la définition de l’histoire nationale ». Déjà, souligne l’auteur, une « véritable révolution » s’était produite chez lui à la lecture de l’ouvrage d’Edward Said, L’Orientalisme (1978). Mais c’est face aux monuments, aux lieux, aux situations et aux traces découlant de la présence de l’ancienne puissance coloniale française dans ces trois pays que l’historien va en quelque sorte expérimenter une écriture proprement postcoloniale de sa discipline.

« En circulant en Asie et au Maghreb, les façons d’écrire l’histoire se modifient, autorisant les emprunts, les comparaisons, les chevauchements. Le terrain des certitudes de l’historien se trouve alors miné. Dans la circulation à travers les paysages, les rencontres avec des personnes, des connexions s’opèrent, les datations se renouvellent. » Mais de Hanoï à Saïgon, d’Alger à Constantine, de Casablanca à Rabat, Benjamin Stora assiste aussi aux transformations de ces sociétés, profondément influencées par la présence française. Il propose ainsi une analyse – enrichie de ses connaissances de leur passé colonial – des événements et conflits qu’il saisit sur place : quand le Viêt Nam fait son entrée dans la mondialisation ; quand l’Algérie voit la fin des « années noires » ; quand, à la mort d’Hassan II, le Maroc vit un début d’ouverture politique…

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
Thiaroye, un massacre colonial
Histoire 20 novembre 2024 abonné·es

Thiaroye, un massacre colonial

Quatre-vingt ans après le massacre par l’armée française de plusieurs centaines de tirailleurs africains près de Dakar, l’historienne Armelle Mabon a retracé la dynamique et les circonstances de ce crime odieux. Et le long combat mené pour briser un déni d’État aberrant.
Par Olivier Doubre
L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes
Intersections 19 novembre 2024

L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes

La comédienne Juliette Smadja, s’interroge sur la manière dont les combats intersectionnels sont construits et s’ils permettent une plus grande visibilité des personnes concernées.
Par Juliette Smadja
États-Unis, ramène la joie !
Intersections 13 novembre 2024

États-Unis, ramène la joie !

La philosophe, professeure à l’université Paris VIII et à la New-York University, revient sur les élections aux Etats-Unis et examine l’itinéraire de la joie dans un contexte réactionnaire : après avoir fui le camp démocrate, c’est désormais une émotion partagée par des millions d’électeurs républicains.
Par Nadia Yala Kisukidi