Les paysans, façonneurs de paysages
Voyage au fil de trois cents photos dans un monde aujourd’hui presque éteint.
dans l’hebdo N° 1225 Acheter ce numéro
Ce livre magnifique illustre cette période de l’histoire de France au cours de laquelle les paysans ont laissé progressivement la place aux agriculteurs. Une histoire achevée récemment puisque aucune des photographies de Serge Chevallier n’a plus de quarante ans. Qu’il s’agisse de la culture recourant à la traction animale, de la transhumance ou de l’agriculture de moyenne montagne, récit et photos promènent le lecteur dans un passé proche que beaucoup de Français ont connu. Un passé de travail difficile de la terre qui a inventé un patrimoine architectural adapté aux climats et à la géographie, aujourd’hui abandonné ou transformé en résidences secondaires. Après avoir rappelé que le mot « paysan » recouvre des métiers multiples et que la transformation de l’agriculture représente « le passage du temps long du paysan à celui du temps court de l’exploitant agricole », Chevallier et Dubois montrent à quel point des siècles d’agriculture ont formé le paysage. Des cultures en terrasse des Cévennes à l’exploitation des terres les moins fertiles en passant par les haies ou le pâturage extensif sur les causses de l’Aveyron, de l’Hérault, du Lot ou du Larzac.
La série de photos sur la transhumance, laquelle commence souvent désormais à bord des camions parce que les moutons, les chèvres et les bovins ne peuvent plus encombrer les routes réservées aux voitures, est superbe. Mais elle rappelle que, si cette forme d’élevage est en régression, sa nouvelle organisation permet aussi d’aller entretenir des estives lointaines et délaissées. Elle montre également qu’en dépit de la crise de l’élevage ovin, les propriétaires de troupeaux et leurs bergers ne sont pas des reliques folkloriques pour touristes en mal de photos « typiques », mais des acteurs ruraux qui animent le paysage et l’entretiennent. Les pentes skiables seraient encore plus sujettes aux avalanches si les troupeaux ne venaient pas régulièrement tondre les hautes herbes qui, en se couchant sous la neige l’hiver venu, provoquent le glissement des plaques neigeuses.
Autant les séquences superbes consacrées aux ânes et aux attelages de bœufs de labour renvoient à un passé bien révolu, autant celle consacrée aux chevaux regarde vers un nouvel avenir. Car si baudet du Poitou aux poils hirsutes n’est plus qu’un « animal de loisirs », les chevaux retrouvent progressivement un rôle dans le débardage du bois et dans l’agriculture biologique, qui se refuse à brutaliser la terre. Dans le même temps, les paysages aménagés se referment et la forêt autrefois coupée repousse sur les terres en friche. Au terme de leur voyage nostalgique au cœur de cette histoire récente, les deux auteurs auraient d’ailleurs pu noter que les agriculteurs bios sont justement en train de redevenir des paysans.