Rail : La libéralisation va bon train
Les syndicats de cheminots du système ferroviaire engagent un rapport de force contre la future réforme, qui ouvre à la concurrence de nouveaux pans du secteur.
dans l’hebdo N° 1225 Acheter ce numéro
Le ministre délégué aux Transports, Frédéric Cuvillier, a donné mardi le coup d’envoi à la future réforme du système ferroviaire, dont les grandes lignes sont encore floues. Très attendues, les annonces gouvernementales ont été précédées d’une journée de grève, le 25 octobre, à l’appel d’une intersyndicale (CGT, Unsa, SUD-Rail et CFDT). Le mouvement a mobilisé près de 30 % des agents de la SNCF selon les syndicats (23 % selon la direction), lesquels exigent du gouvernement une autre feuille de route. Car, dans son projet, le gouvernement veut créer un gestionnaire d’infrastructure unifié (GIU), qui rattachera Réseau ferré de France (RFF), actuel gestionnaire, à la SNCF « au sein d’un pôle public ferroviaire unifié ». S’agit-il pour autant d’un retour en arrière ? Officiellement, il n’est pas question de mettre en cause la libéralisation du rail instituée par la loi de 1997, qui a entraîné la séparation des activités de gestion du réseau (confiée à RFF) et d’exploitation (assurée par la SNCF et quelques opérateurs privés). Pas de trace non plus d’un constat d’échec lié à la mise en concurrence du secteur. Le gouvernement lance un processus qui vise, certes, à sortir le système ferroviaire de son endettement, mais surtout à le préparer à la libéralisation complète du secteur voulue par Bruxelles. Ce chantier de réforme devrait déboucher sur une loi courant 2013. Il devra aussi intégrer l’ouverture à la concurrence des réseaux régionaux, proposée par la Commission européenne dans le cadre du quatrième paquet ferroviaire, en cours d’élaboration à Bruxelles.
Pourtant, depuis la séparation de l’infrastructure et des services de transport, « l’économie du système ferroviaire est fortement dégradée, car la séparation a introduit des coûts de transaction considérables dans son fonctionnement », dénonce le syndicat SUD-Rail dans une lettre adressée à Delphine Batho, ministre de l’Écologie, et à Franck Cuvillier. Les compétences entre la SNCF et RFF se chevauchent, et l’endettement conjugué des deux entreprises, qui s’élève à plus de 32 milliards d’euros, croît de plus d’un milliard par an. Si rien n’est fait, il devrait doubler d’ici à 2025. Récemment, David Azéma, directeur général délégué du groupe SNCF, favorable à l’ouverture au marché, a parlé de « crise froide dans laquelle s’enfonce lentement mais sûrement le système ferroviaire français [^2] ». Face à cette crise, la CGT cheminots propose « un gestionnaire d’infrastructure unifié intégré dans la SNCF, alliant séparation comptable et des fonctions essentielles avec des établissements multi-activités pour décloisonner les services ». De son côté, la réformiste Unsa Cheminots demande « la mise en place d’un système ferroviaire réunifié, désendetté, s’appuyant sur une entreprise SNCF intégrée ». Et SUD-Rail estime que « la décision de réintégrer RFF au sein de la SNCF doit être prise rapidement. Il s’agit d’une nécessité impérieuse afin d’assurer à nouveau la fiabilité, la sécurité, la disponibilité et un fonctionnement correct du système ferroviaire ». Pour sa part, la direction de la SNCF a préconisé une organisation à l’allemande, avec une intégration de l’infrastructure au sein d’une holding commune, option retenue par le ministère des Transports. La Commission européenne plaide, elle, pour une plus grande séparation entre la gestion des équipements et les activités de transport.
Pour satisfaire Bruxelles, Franck Cuvillier assure que le schéma retenu ne compromettra pas la concurrence. Le GIU, filiale de la SNCF, rassemblerait au sein d’une même entité les personnels de RFF et des services de la SNCF chargés de la maintenance de l’infrastructure et de l’organisation de la circulation des trains, soit un total de 50 000 salariés. Mais le statut juridique du GIU reste à définir et devra être « eurocompatible » : la Commission européenne a récemment prévenu que « les directives ne permettent pas aux États membres d’intégrer le gestionnaire indépendant dans le cadre d’une société holding à laquelle appartiennent également les entreprises ferroviaires, sauf s’ils prévoient des mesures supplémentaires pour garantir l’indépendance de la gestion ». Autrement dit, l’entité devrait être privée et autonome. Le dossier s’avère donc explosif sur le plan social. Les syndicats craignent la casse du statut de cheminot sous couvert d’harmonisation sociale et de privatisation d’une partie de la SNCF. François Hollande avait indiqué, pendant la présidentielle, que « la concurrence n’est pas […] la solution pour réaliser une Europe du rail ». C’est pourtant ce qui se dessine.
[^2]: La vie du rail , 16 novembre 2011.