Restauration : faut-il relever la TVA ?
La CGT, explique Stéphane Fustec, est plutôt favorable à un relèvement de la TVA, car la mesure de 2009 n’a pas porté ses fruits, notamment en termes d’emplois. Pour FO, souligne Dejan Terglav, l’accord de 2009 était une base pour défendre plus encore les salariés.
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Nous sommes sur une position qui s’apparente à un « oui, mais… » sur la question du relèvement de la TVA dans la restauration, puisque nous sommes opposés au principe même de la TVA – l’impôt le plus injuste selon nous. Toutefois, dans le cas de la restauration, notre position est plus nuancée car nous avons été particulièrement déçus : cet abaissement de la TVA de 19,6 % à 5,5 % (avant une remontée à 7 %) intervenu sous l’ère Sarkozy n’a pas produit les effets que nous avions été nombreux à escompter, en termes de taux d’investissement d’abord, mais surtout en termes d’emplois et d’avancées sociales. Même si, pour ces deux derniers volets, c’est quand même ce qui a le mieux fonctionné.
La CGT a une position un peu à part aujourd’hui par rapport aux autres syndicats de salariés : nous faisons le constat, comme le député Thomas Thévenoud (PS), auteur du rapport parlementaire sur la question, que cette mesure fiscale demeure un échec. Nous pensons qu’il faut agir différemment, en particulier par un contrôle beaucoup plus rigoureux des aides publiques accordées aux entreprises, versées sans distinction, en particulier aux grandes entreprises. En outre, une des difficultés que nous avions pointées dès le début, c’est le manque d’instruments de mesure, puisque la réalité de ce secteur est compliquée : nombre de salariés ont plusieurs employeurs ; il y a une forte problématique des saisonniers ; beaucoup de contrats précaires…
Nous sommes donc plutôt favorables au rehaussement de la TVA. Surtout si cela permet de dépenser moins d’argent public : au lieu de cette mesure accordée aux restaurateurs, on pourrait raisonner différemment, en aidant plutôt les très petites entreprises qui sont en difficulté, ce qui est indéniable dans certains cas, et en revalorisant les conditions sociales d’une profession qui, malgré les quelques avancées obtenues avec l’accord signé en 2009 au moment de la baisse de la TVA, demeurent très difficiles. De plus, l’objectif de la mesure, qui était d’obtenir des créations d’emploi, n’a pas du tout été au rendez-vous.
Enfin, l’argument selon lequel ce rehaussement de la TVA risquerait de faire fuir la clientèle, donc de diminuer l’emploi, nous n’y croyons pas non plus : les prix sur les cartes ont, semble-t-il, un peu baissé au moment de la diminution de la TVA, mais ils ont très vite augmenté de nouveau et, en trois ans, ils sont maintenant bien supérieurs à ceux de 2009.
Tout cela n’est finalement que l’échec des restaurateurs, qui, seuls, en portent la responsabilité. J’ajouterai que, dès août 2011 – avant l’élection de François Hollande donc –, j’avais écrit à l’ensemble des fédérations patronales de la branche pour leur signifier qu’ils ne négociaient plus, qu’ils ne tenaient pas leurs engagements, et donc qu’ils risquaient de perdre le bénéfice de la TVA réduite. Plus d’un an après, je crois qu’ils vont simplement payer cette attitude. En 2009, nous avions réussi à obtenir, pour le volet social, une mutuelle obligatoire, une prime dite « prime TVA » (de 2 % sur le salaire annuel brut, dans une limite de 500 euros annuels), et d’autres mesures, notamment sur la santé au travail, ce qui n’était pas négligeable. Mais dès qu’ils ont eu leur TVA réduite, les restaurateurs ont retrouvé leurs vieux démons.
J’ajoute que notre position n’est pas facile puisque, avec ce rehaussement de la TVA, on va sans doute perdre cette prime et les autres avantages obtenus, en plus des heures supplémentaires à nouveau fiscalisées, ce qui signifie une perte de pouvoir d’achat. Mais c’est pour nous une question de principe et de logique face à des employeurs qui n’ont jamais vraiment joué le jeu.
Nous sommes opposés à un rehaussement de la TVA dans la restauration parce que ce serait, selon nous, une double injustice. Les salariés ont déjà subi l’abrogation de la loi Tepa (qui défiscalisait les heures supplémentaires), perdant environ 800 euros par an (puisqu’ils travaillent 39 heures par semaine et payent maintenant des impôts sur leurs revenus de 35 à 39 heures). Avec une hausse de la TVA, on aurait une rupture du dialogue social, ce qu’ont déjà annoncé d’ailleurs les fédérations patronales du secteur. Les salariés perdraient ainsi la prime qui était liée à la baisse de la TVA et représentait environ 500 euros annuels, la mutuelle obligatoire, et ce qu’on pourrait obtenir dans le cadre de négociations salariales puisqu’on a aujourd’hui un accord qui oblige les fédérations patronales à donner 1 % de plus que le Smic. Tout cela serait terminé !
Je sais bien qu’on va dire que nous sommes ici, une fois n’est pas coutume, en accord avec les fédérations patronales. Mais ce que je retiens et qui compte pour nous, c’est l’intérêt des salariés que je représente. Or, il est indéniable que les salariés vont perdre de l’argent dans cette affaire ; c’est donc mon rôle de les défendre.
Que les fédérations patronales aient ponctuellement le même intérêt ne change rien à la position que j’ai exposée. Je le dirai d’ailleurs de nouveau aux ministres concernés : les salariés perdront beaucoup trop d’argent si on relève le taux de la TVA dans la restauration ! Et en matière d’attractivité du secteur, déjà très faible, cela ne va rien arranger : ce sont des métiers difficiles où l’on travaille le dimanche, les jours fériés, avec des coupures au milieu de la journée, où l’on finit tard le soir, etc.
Par ailleurs, la fin du dialogue social dans un secteur où il était inexistant avant 2009 signifierait l’arrêt des accords que nous sommes en train de préparer avec les fédérations patronales sur le travail illégal (dont on sait bien qu’il est important dans cette branche). Je suis d’accord avec la CGT pour dire que ce projet est insuffisant, mais c’est une vieille différence entre eux et nous : doit-on signer un premier accord lorsqu’il n’y en a jamais eu auparavant, même si on souhaiterait qu’il aille plus loin, ou bien ne rien faire ? Pour nous, à Force ouvrière, il vaut mieux poser cette première pierre qui pointe les problèmes dont on ne parlait jamais avant. On ne signera pas n’importe quoi non plus, et les discussions continuent.
Nous souhaitons donc poursuivre ces négociations et assurer un dialogue social dans le secteur, aussi difficile soit-il. Cet accord ne sera certainement pas suffisant, mais si on met la barre trop haut, on n’obtient jamais aucun accord !
De même, on peut dire que les patrons n’ont pas vraiment joué le jeu après 2009. On a pourtant obtenu une mutuelle, la « prime TVA » et, surtout, une grille des salaires fixant les salaires 1% au-dessus du Smic. Ce n’est pas rien, même si on souhaite plus.
Je m’occupe aussi de la grande distribution. Dans cette branche, les patrons ont une image un peu meilleure alors qu’ils ne respectent rien : il n’y a ni mutuelle, ni prime, ni grille des salaires. Même si on sait bien que les patrons dans la restauration n’ont aucune fibre sociale et aucune tradition de négociations, je préfère avoir commencé à instituer le dialogue social, plutôt que de revenir comme avant 2009, quand il n’existait aucun accord. C’était le Moyen Âge !