Salariés dans les CA : la proposition Gallois qui dérange le patronat
Améliorer la représentation des salariés dans les Conseils d’administration des entreprises. François Hollande défend l’idée, reprise dans le rapport Gallois, mais les patrons bloquent.
Et si l’on imaginait une autre démocratie de l’entreprise, des salariés capables de mettre à bas un plan social, de taper du poing sur la table pour une augmentation salariale ? Le 6 novembre dernier, dans sa déclaration sur la compétitivité et l’emploi, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault lançait un appel solennel aux entreprises souhaitant que « les partenaires sociaux débattent rapidement des modalités » permettant, comme l’a préconisé le rapport Gallois, « d’introduire dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 5000 salariés au moins 4 représentants des salariés ».
Une pincée de social
C’est un constat sans appel, depuis les années 1990, la part des représentants des salariés dans les conseils d’administration (CA) est en déclin. Les réformes néo-libérales sur la gouvernance d’entreprise ayant tout mis en place « pour mieux garantir que les dirigeants prennent leurs décisions en fonction des seuls intérêts de leurs actionnaires » selon une note datée de 2005 du Conseil Scientifique d’Attac. Pour Dominique Plihon, son président, la proposition du Premier ministre n’est rien d’autre qu’une « pincée de social dans cette réforme néo-libérale pour la compétitivité qu’est le rapport Gallois ».
Constat similaire pour les acteurs qui connaissent les rapports de force dans les entreprises comme Jean-Pierre Mercier, délégué centrale CGT à PSA Peugeot-Citroën, entreprise ex-publique, ayant des administrateurs élus par les salariés au CA : « C’est un os à ronger que les patrons donnent aux syndicats. Quand vous siégez dans ce genre d’instances avec une armée de requins, ça ne change rien que vous soyez deux ou trois de plus ». Et Dominique Plihon d’ajouter : « La loi permettant une représentation des salariés dans les entreprises publiques, aujourd’hui souvent privatisées, n’a jamais empêché que sur certaines grandes décisions, la voix des salariés soit totalement ignorée ».
La loi insuffisante.
Dans les entreprises publiques ou ex-publiques comme EDF ou France Télécom, la loi de 1983 « relative à la démocratisation du secteur public » stipule bien que « le CA comprend des représentants des salariés ». Mais ce texte est peu contraignant pour ces entreprises. Dans un rapport de 2003, présidé alors par le Secrétaire général de l’UMP, Philippe Douste-Blazy, la commission d’enquête parlementaire sur la « gestion des entreprises publiques » rappelant que « le CA est un organe stratégique de la gouvernance des entreprises », se dit « sidérée d’apprendre que certains d’entre eux [n’étaient] toujours pas consultés sur d’importantes décisions. »
Une dérive qui se confirme sur le terrain selon Nicolas Galepides, Secrétaire fédéral Sud PTT et ancien administrateur à la Poste : « Lorsqu’en juin 2011, la banque postale a acheté des titres subordonnés à Dexia pour 3 milliards d’euros, le CA n’a absolument pas été consulté. Or, Dexia faisait faillite 3 mois plus tard ». Mais pire est la situation dans les entreprises françaises privées appartenant au CAC 40 dont seule la moitié environ disposent d’un administrateur représentant les salariés dans les CA. Une loi de 2006 imposant un siège aux salariés dans ces instances s’ils détiennent plus de 3% du capital de l’entreprise. Résultat, celles-ci s’arrangent pour rester en dessous du seuil et échapper à la contrainte. Et Nicolas Galepides de fustiger ces patrons qui s’arrangent aussi pour « créer des sociétés par actions simplifiées (SAS) où il n’y a aucun CA ».
Un changement nécessaire
Loin du scepticisme de certains syndicats, l’économiste Antoine Réberioux, professeur à l’université des Antilles et de la Guyane, préfère noter que cette proposition est « un pas de plus vers le modèle de la co-gestion comme en Allemagne . Cela rompt avec une vision purement actionnariale de l’entreprise ». Même si selon lui, cette réforme ne « plaira pas au MEDEF, elle permettra de montrer que l’entreprise n’appartient pas qu’aux seuls dirigeants ».
Alain Champigneux, membre de l’Institut français des administrateurs (IFA) admet lui aussi une mesure « positive » et pointe du doigt les arguments des patrons qui s’offusqueraient d’un tel changement dans les conseils d’administration : « Ces derniers ont peur que les représentants des salariés, plus nombreux avec la réforme annoncée, outrepassent la confidentialité qui doit régner dans un CA. Or, c’est souvent dans l’intérêt de l’administrateur salarié de garder les secrets de l’entreprise s’il ne veut pas que sa société coule. Il suffirait juste que ces derniers soient bien formés à la négociation en CA ». Une vision de la transparence que refuse Jean-Pierre Mercier pour qui « les administrateurs représentants des salariés doivent avoir la garantie de ne pas être victimes de pressions s’ils communiquent une information issue du CA ».
Pour une révolution de la gouvernance
Pour que la voix des salariées soit réellement respectée, certains syndicalistes réclament un changement plus radical de la gouvernance des entreprises. C’est la position de Nicolas Galepides qui plaide pour que « toutes les représentations syndicales majoritaires dans une entreprise puissent avoir une place d’administrateur dans le CA. Cela permettrait une meilleure représentativité et responsabiliserait les syndicats », explique ce dernier. « On pourrait aussi envisager un droit de veto pour ces représentants ce qui permettrait de bloquer des décisions qui vont à l’encontre des salariés »
Pierre-Yves Gomez, directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises (IFGE) défend la création d’un « Parlement au sein de l’entreprise, une sorte de collège intermédiaire ». Et ce dernier d’expliquer : « Aujourd’hui, entre l’assemblée générale qui se réunit une seule fois par an et un conseil d’administration qui se réunit en moyenne 7 fois par an, les discussions entre les représentants salariés et dirigeants ne sont pas suffisantes ». En attendant, le gouvernement doit présenter un projet de loi pour le premier semestre 2013.
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