4 h 44 Dernier jour sur Terre, d’Abel Ferrara : En guise de conclusion
Dans 4 h 44 Dernier jour sur Terre , Abel Ferrara montre
un couple pendant les quelques heures qui lui restent avant
la fin du monde.
dans l’hebdo N° 1232-1234 Acheter ce numéro
Le distributeur de 4 h 44 Dernier jour sur Terre, Capricci films, n’a pas manqué d’espièglerie en programmant sa sortie française à deux jours de la fin du monde. Celle, du moins, que prédisent des exégètes dépressifs du calendrier maya, qui s’achèverait, selon eux, le 21 décembre. Le rapprochement, quoi qu’il en soit, était tentant. Car c’est bien ce à quoi sont confrontés les personnages d’Abel Ferrara : à la disparition de la planète Terre. Les raisons n’en sont pas astrales, mais écologiques. C’est à la suite du film d’Al Gore, Une vérité qui dérange (2006), qu’Abel Ferrara a conçu 4 h 44, tourné en 2011. « En tant que film, ce n’était pas génial, mais il décrivait un tel scénario catastrophe pour l’humanité qu’on s’est mis à y réfléchir », explique le cinéaste dans le dossier de presse.
Nous sommes donc à quelques heures de l’extinction de toute vie, dans un quasi-huis clos : l’appartement de Cisco (Willem Dafoe) et Skye (Shanyn Leigh), à New York. Le film commence avec des sons de cithares indiennes et un plan sur la statuette d’un bouddha. Une promesse de sérénité qu’on retrouve dans le personnage féminin, Skye, plus jeune que son compagnon, adepte du yoga, et qui continue à pratiquer son art, la peinture, réalisant au sol de grands ensembles abstraits d’où émergent quelques figures d’animaux. Skye est absorbée par ce qu’elle fait, attirée de temps à autre dans les bras de Cisco pour des baisers, des étreintes, ou pour faire l’amour.
L’angoisse du dernier moment à venir talonne davantage Cisco, l’empêchant de focaliser longtemps son attention, le rendant sensible à l’instant présent et surtout aux émotions qui le submergent. Il s’attarde sur quelques interviews qui passent à la télévision (Al Gore, justement, ou le dalaï-lama…), appelle des amis ou sa fille, qui habite chez sa mère. Que fait-on pendant les quelques heures qui restent avant la fin généralisée ? La question est évidemment au cœur du film, d’une grande beauté plastique favorisée par l’exubérance des couleurs des œuvres peintes par Skye. En sortant sur la terrasse, Cisco assiste à une scène terrible : un homme, costume et attaché-case, se lance dans le vide pour en finir plus vite. Scène qui n’est pas sans rappeler ce qui s’est produit le 11 Septembre. D’autres sont plutôt tentés de s’oublier dans le plaisir. Des images de rassemblements apparaissent furtivement sur l’écran de télévision, pour faire la fête. S’improvisent aussi d’immenses prières collectives.
4 h 44 Dernier jour sur Terre rappelle, bien sûr, Melancholia, de Lars von Trier, autre récit de fin du monde, mais n’a pas ce même parfum d’expiation (Ferrara est bouddhiste, quand Lars von Trier est chrétien) et ignore les grandiloquences symboliques. Par exemple, le monde est convoqué dans le huis clos de l’appartement par l’intermédiaire des écrans (de télévision, d’ordinateur…) sans pour autant qu’une vision critique univoque ne soit donnée sur notre société de communication. À preuve, cette séquence magnifique d’ambivalence : un jeune livreur se présente avec le dîner de Skye et Cisco. Celui-ci demande au garçon ce dont il a besoin dans ces circonstances. « De Skype », lui répond-il. Le jeune livreur appelle sa famille au Vietnam pour lui faire ses adieux. Quand il referme l’écran de l’ordinateur, faisant disparaître ainsi l’image de ses proches, ému, il dépose un baiser sur le Mac. Ce plan est extraordinaire de simplicité et de complexité.
Cette alliance a priori contradictoire entre le simple et le complexe est à l’image de tout le film. On est estomaqué par sa virtuosité – sa mise en scène sobre et fluide, sa capacité à évoquer toutes les sortes de sentiments dont les humains seraient la proie dans une telle situation – sans jamais tomber dans la démonstration stylistique ou la lourdeur didactique. 4 h 44 Dernier jour sur Terre se garde bien de tout message philosophique. L’ultime image est celle d’un écran blanc. Non pas noir, mais blanc. Comme si tout était à recommencer, à réinventer.
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