Après Doha, le déluge
Alors que les manifestations du dérèglement s’intensifient, la conférence n’a débouché sur aucune décision.
dans l’hebdo N° 1231 Acheter ce numéro
Si tous les délégués à la conférence de Doha, qui s’est terminée avec 24 heures de retard, ne dormaient pas dans leurs fauteuils, samedi, c’est que beaucoup avaient déjà quitté la capitale du Qatar. Sur les 192 pays négociateurs, qui ont tout juste réussi à s’entendre sur une deuxième période d’engagement pour le protocole de Kyoto (hormis le Canada, le Japon et la Russie), au moins 80 étaient repartis. Une quarantaine de délégations africaines et beaucoup de petites nations asiatiques manquaient à l’appel.
Pour les pays les plus pauvres et les plus vulnérables, ceux qui redoutent le plus les effets des dérèglements climatiques, impossible d’assumer les frais d’annulation d’un billet d’avion déjà coûteux ou de nuits supplémentaires à l’hôtel. Ils reviendront peut-être pour le grand rendez-vous de 2015 qui se déroulera à Paris. En attendant cette nouvelle rencontre, des manifestations de plus en plus violentes du dérèglement climatique sévissent sur toute la planète, et elles seraient de plus en plus nombreuses. Les experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) n’ont pas manqué de l’expliquer, en vain, dans les allées de la conférence. Pour preuve, la sécheresse qui a frappé 41 États américains au cours du printemps. Conséquence : des dizaines de milliers de sapins ont séché sur pied dans le Tennessee, un État qui assure pourtant l’essentiel de la production de fin d’année. Résultat : les arbres de Noël vont manquer à New York et à Washington. Plus grave, en pleine conférence, le cyclone Bopha a ravagé une partie des Philippines, avec probablement plus d’un millier de victimes. Un bilan catastrophique pour le pays et qui risque de s’alourdir rapidement, les météorologues ayant annoncé que le cyclone pourrait revenir ravager une autre partie du territoire. Cette catastrophe, qui a détruit des milliers d’infrastructures et de maisons, n’a visiblement pas ébranlé les délégués de la conférence, alors même que les récentes manifestations du dérèglement climatique ont servi de toile de fond à de nombreux discours, dont celui de Laurent Fabius, venu quelques heures à Doha faire un numéro littéraire semblable à celui de Jacques Chirac à Johannesburg, en 2002, qui avait alors proclamé : « La maison brûle et nous regardons ailleurs. »
L’été prochain, les banquises de l’Arctique et du Groenland fondront encore plus rapidement qu’en 2012, elles risquent de disparaître complètement, estiment les experts du Giec. Ce qui contribuera à accélérer la montée du niveau de la mer, qui grignote aussi bien les parties basses du sud du Bangladesh que l’île artificielle en forme de palmier installée il y a quelques années au large de Dubaï. Les installations luxueuses de cet aménagement, financé par les revenus du pétrole, sont désormais menacées. Dans les Andes et l’Himalaya, les hauts glaciers qui alimentent les fleuves et les rivières ne se reconstitueront pas suffisamment au cours des prochains mois et continueront de fondre. Fontes qui entraîneront des difficultés d’irrigation insurmontables pour d’immenses zones agricoles, vitales pour une vingtaine de pays. Autre symptôme : en Russie, l’un des pays qui ont le plus œuvré à l’échec de la conférence, les immeubles des villes du nord de la Sibérie continueront à s’enfoncer dans le permafrost, le sous-sol gelé, qui fond doucement mais sûrement. Certaines villes vont prochainement disparaître, notamment en Yakoutie. Plus préoccupant encore : sous l’effet des mouvements du sol en dégel, des oléoducs et des gazoducs commencent à se tordre, au risque de relâcher brusquement leur pétrole et leur gaz. Et, partout dans le monde, des millions d’arbres continueront à se dessécher tandis que le nombre des réfugiés climatiques, grands oubliés de la conférence, continuera à croître. Quant aux météorologues présents à Doha, ils expliquaient avec fatalisme que 2013 pourrait voir le nombre des ouragans, des cyclones et des inondations multiplié par deux.