L’État abdique devant Mittal

En refusant de nationaliser, fût-ce temporairement, l’aciérie de Florange, le gouvernement s’est rangé une fois de plus à l’avis des thuriféraires de la concurrence libre et non faussée.

Michel Soudais  • 6 décembre 2012 abonné·es

Les hauts fourneaux de Florange, à l’arrêt depuis un an et demi, ne redémarreront pas. La reprise de leur activité constituait le principal enjeu du bras de fer avec ArcelorMittal depuis deux mois. Et le symbole de la volonté (ou non) de l’État de maintenir une industrie sidérurgique en France. De ce point de vue, le compromis annoncé précipitamment par Jean-Marc Ayrault vendredi dernier fait office de douche froide.

La nationalisation du site de Florange, fût-elle temporaire, ne fait pas partie du vocabulaire des économistes qui ont leur rond de serviette dans les médias. Entre autres, l’économiste et journaliste des Échos Dominique Seux, membre de la commission économique de la nation (ministère de l’Économie), a estimé lundi dans sa chronique sur France Inter que « le débat ne portait pas sur nationalisation ou pas […] *. Il y avait une seule question : y avait-il une alternative économique crédible ? »* Pour le chroniqueur, « le gouvernement ne peut pas empêcher […] PSA de fermer Aulnay, Doux d’avoir des problèmes et Sanofi de se réorganiser. Ou le marché de l’acier d’être en surcapacité » . Et Mittal d’en tirer profit… Quelques jours plus tôt, le même avait trouvé « stupéfiant » que Montebourg menace de nationaliser le site de Florange.

Confronté à la détermination de la multinationale luxembourgeoise de fermer définitivement les deux hauts fourneaux de Florange, qui constituent ce qu’on appelle la « filière liquide », tout en conservant les activités du site liées à la « filière froide » (transformation et finition de l’acier), le gouvernement avait semblé s’orienter vers deux solutions. Soit convaincre ArcelorMittal de vendre l’ensemble du site, aucun repreneur n’étant intéressé par une vente à la découpe. Soit nationaliser lesdites installations pour en préserver la pérennité. Jean-Marc Ayrault les a rejetées toutes les deux en acceptant qu’ArcelorMittal reste aux commandes, moyennant quelques engagements. Lesquels permettent au gouvernement de maquiller en victoire ses renoncements. Ainsi « il n’y aura pas de plan social à Florange », assure le Premier ministre. Mais l’affirmation ne vaut que pour les 629 salariés de la filière liquide du site. Elle ne concerne nullement les intérimaires et les sous-traitants. Ainsi encore, « le groupe Mittal s’est engagé à investir au moins 180 millions dans les cinq prochaines années à Florange ». Cependant, ces investissements, comme Jean-Marc Ayrault l’indique lui-même, sont destinés à « pérenniser et renforcer » les activités du site « liées à la filière froide, et notamment l’emballage » et non les hauts fourneaux. Certes, « cela permettra de sécuriser les salariés qui travaillent dans ces activités » (et eux seuls), à condition que Mittal tienne ses engagements… En 2008, après l’annonce de la fermeture de l’usine de Gandrange, l’aciériste s’était engagé à investir 330 millions sur le site de Florange, rappellent les syndicalistes, qui n’en ont jamais vu la couleur. D’où leur colère à l’écoute de la déclaration de Jean-Marc Ayrault.

Économiquement, l’accord négocié par Matignon ne profite qu’au groupe Mittal. Il lui permet de préserver ses marges [^2] en évitant la reprise de l’ensemble du site par un groupe concurrent. Par ailleurs, les travaux permettant la reprise des hauts fourneaux à travers le projet écologique Ulcos – captage et stockage de CO2 – ne font pour l’instant l’objet d’aucune garantie. Le financement d’Ulcos, porté par un consortium de 48 entreprises et organisations issues de 15 pays européens, n’est pas bouclé – si « l’État a déjà réservé 150 millions d’euros » et « est prêt à augmenter sa participation », la Commission européenne doit se prononcer le 20 décembre sur un apport de 240 millions d’euros. Le site d’expérimentation (qui pourrait être Florange) n’est pas choisi. Et le communiqué d’ArcelorMittal consécutif à l’accord du 30 novembre ne fait aucune mention de ce projet.

Socialement, les salariés de Florange ont légitimement des raisons d’être inquiets. Lundi, leurs syndicats réclamaient avec force de consulter cet accord que Matignon refuse de rendre public pour des raisons de « concurrence ». Ils sont préservés de la brutalité d’un plan social. Mais l’arrêt de la filière liquide, qui signe la fin de la production d’acier en Lorraine, se traduira inévitablement par des suppressions d’emplois chez les sous-traitants dans une région déjà sinistrée par des années de casse industrielle. Politiquement, le dénouement du bras de fer avec ArcelorMittal est également désastreux pour le gouvernement. Mercredi 28 novembre, Arnaud Montebourg annonçait devant les députés disposer d’un repreneur : « Un aciériste, un industriel, [et] pas un financier, […] disposé à investir jusqu’à près de 400 millions d’euros dans cette installation pour la rénover. » Vendredi 30 au soir, le Premier ministre indiquait, après avoir pris seul en main la négociation, qu’ « il n’y avait pas de repreneur crédible et ferme ». Mieux, après avoir fait croire aux salariés qu’une nationalisation était envisagée, le gouvernement l’a brusquement écartée. « Au vu des engagements obtenus d’ArcelorMittal », s’est justifié Jean-Marc Ayrault. Avant d’ajouter que la nationalisation, « nécessaire dans des circonstances historiques particulières ou pour sauvegarder des intérêts supérieurs de la nation, n’est pas efficace face à un problème de débouchés […] ou de compétitivité ».

Ce faisant, le Premier ministre n’a pas seulement infligé un camouflet à son ministre du Redressement productif, dont la proposition de nationalisation temporaire avait rallié de nombreux soutiens sur presque tout l’échiquier politique. Il a aussi désavoué le rapport d’une mission d’expertise confiée par ce dernier à Pascal Faure, vice-président du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (Cgeiet), qui concluait, en juillet, que le site intégré (filière chaude et froide) de Florange était « viable, fiable et rentable » moyennant un investissement de 400 à 500 millions d’euros. Et a de nouveau cédé aux thuriféraires de la concurrence libre et non faussée, nombreux dans les médias (voir encadré). Lesquels, à l’instar de Laurence Parisot, jugeaient l’éventualité d’une nationalisation transitoire « tout simplement scandaleuse », et de nature à dégrader l’image de la France chez les investisseurs étrangers. Ni le caractère stratégique de la production d’acier ni le non-respect par ArcelorMittal de ses engagements précédents n’ayant paru suffisants pour justifier d’une nationalisation de l’entreprise, on voit mal quelles circonstances justifieraient d’y recourir à l’avenir. Le gouvernement a déposé une arme de plus sur l’autel du pouvoir de la finance. De plein gré.

[^2]: Malgré un endettement net supérieur à 22,5 milliards d’euros fin 2011 et un bénéfice net de 2,2 milliards d’euros, le groupe a versé l’an dernier 2,3 milliards d’euros de dividendes, dont 943 millions pour la seule famille de Lakshmi Mittal. Grâce au miracle des prix de transferts, il ne verse aucun impôt en France.

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