Régularisation des sans-papiers : « Une méconnaissance de la réalité »
Entrée en vigueur le 3 décembre, la nouvelle circulaire sur les critères de régularisation des personnes sans titre de séjour déçoit les associations militant pour les droits des sans-papiers.
dans l’hebdo N° 1230 Acheter ce numéro
La nouvelle circulaire du ministère de l’Intérieur sur les demandes de régularisation des étrangers sans papiers est entrée en vigueur le 3 décembre. Pour Mylène Stambouli, cette circulaire pose des conditions à la régularisation très restrictives et ne tient pas suffisamment compte des arguments des acteurs de terrain.
**La circulaire sur les critères de régularisation des personnes sans-papiers est-elle une avancée, pour la Ligue des droits de l’homme ? **
Mylène Stambouli : Nous sommes déçus par son contenu. Plusieurs réunions ont été organisées au ministère de l’Intérieur, mais, bien que l’on retrouve des éléments de ces débats dans la circulaire, l’essentiel de nos revendications n’a pas été pris en compte. Certes, le fait d’unifier les critères de régularisation peut être utile. On ne peut nier que, d’une préfecture à l’autre, les appréciations des demandes sont différentes. Il faut batailler dossier par dossier, sans référence nationale pour les soutenir. Maintenant que les critères sont fixés uniformément, les demandes de régularisation des personnes entrant dans les critères du ministère vont donc probablement affluer. Mais, dans le même temps, cette circulaire pose des conditions qui, cumulées, font obstacle à la plupart des régularisations.
Les exigences de preuves à apporter sont-elles réalistes ?
Le ministère tient un discours qui n’est pas tant fondé sur la situation concrète des personnes que nous rencontrons que sur l’appréciation politique de cette question de l’immigration. Cela se ressent dans les critères pour une régularisation par le travail. [Outre les cinq années de présence en France, les personnes y prétendant doivent apporter la preuve de huit mois de travail sur les vingt-quatre mois précédant la demande. NDLR] Il est absurde de demander à des personnes en situation irrégulière d’apporter des preuves légales d’un travail en France nécessairement illégal. La circulaire, nous dit-on, prend cela en compte en expliquant que la relation de travail peut être établie par d’autres modes de preuve que le bulletin de salaire. Mais, concrètement, la plupart des personnes ne peuvent répondre aux exigences. Il y a rarement des virements bancaires, rarement une attestation d’un patron affirmant qu’il emploie quelqu’un de façon illégale… On nous dit que l’intérim est pris en compte, mais, outre la difficulté pour une personne en intérim d’apporter les preuves exigées, il s’agit là encore d’une méconnaissance de la réalité. Les travailleurs sans-papiers que nous rencontrons expliquent bien que la multiplication des contrôles depuis deux ans rend l’embauche par ce biais quasiment impossible. Sans parler du nombre infime de personnes pouvant apporter la promesse d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Pour une personne en situation irrégulière, c’est de toute façon difficile et, dans ce contexte de crise, quels employeurs s’engageront sur un CDI ?
**Quels sont les possibles effets négatifs de la circulaire ? **
En exposant des critères, elle délimite de façon très restrictive les situations permettant une régularisation. Les familles avec enfants doivent ainsi certifier une présence en France d’au moins cinq ans et la scolarisation de leurs enfants depuis plus de trois ans. Cela suppose qu’une famille présente sur le territoire depuis cinq ans, mais dont les enfants entrent tout juste à la maternelle, par exemple, devra attendre quelques années, tout en risquant une expulsion. Les critères exigés pour les jeunes arrivés alors qu’ils étaient mineurs (deux ans de présence en France) ne permettent pas d’avancée. On reste dans une appréciation au cas par cas. Ce que nous craignons, c’est que cette circulaire, combinée au projet de loi sur la « retenue » qui sera débattu à l’Assemblée le 11 décembre [privation de liberté de 16 heures, pour remplacer la garde à vue des personnes sans titre de séjour, interdite par la Cour de cassation en juillet dernier NDLR], facilite l’éloignement des étrangers n’entrant pas dans les critères du ministère. Le travail continue sur le terrain, et nous serons vigilants sur les effets de cette circulaire. Pour autant, au niveau politique, les choses ne doivent pas s’en tenir là. Il faut faire une véritable réforme législative, avec un contenu plus large, prenant en compte les arguments des associations et des acteurs de terrain.