Un humour très moraliste
François L’Yvonnet analyse les enjeux du rire distillé dans les grands médias.
dans l’hebdo N° 1232-1234 Acheter ce numéro
Philosophe, pas franchement progressiste, François L’Yvonnet signe un coup de gueule sur ce rire obligatoire et ses thuriféraires qui prolifèrent dans les médias. Paru au printemps dernier, son bref pamphlet cible ce qu’il qualifie de véritable « intégrisme de la rigolade », omniprésent dans la plupart des émissions généralistes – qui se doivent toutes aujourd’hui d’avoir leur moment d’humour, distillé par une « ribambelle d’humoristes d’un nouveau genre, moins amuseurs que donneurs de leçons, moins “comiques” qu’agents autoproclamés du Bien ». En ces temps de crise, « peu importe de quoi, le rire est devenu à lui-même sa propre fin », souligne François L’Yvonnet. Son propos est d’abord « motivé par l’agacement » devant ces humoristes qui se posent finalement comme des « gens très sérieux, parlant gravement d’eux-mêmes et de la corporation », et qui, surtout, disent « vouloir “tout dire” sans jamais rien payer ». Son livre n’est pas tant une attaque contre le rire que contre cette obligation de « la rigolade ».
La multiplication des humoristes dans les médias est le signe, selon lui, du « moralisme ambiant, et leur jacasserie, l’occasion d’administrer à l’envi l’empoisonnante moraline dont parlait Nietzsche ». C’est aussi le « symptôme, parmi d’autres, de l’irréversible processus de “disneylandisation” de nos sociétés » … Car ces « néo-humoristes » de nos grands médias « égratignent en surface pour mieux acquiescer à la doxa ». Les Canteloup, Bigard ou Laurent Gerra rient « des gens, non des idées », mettant sans cesse « les rieurs de leur côté » et, « grands cireurs de bottes devant l’Éternel, sont choyés par les vendeurs de “temps de cerveau humain disponible”, leurs alliés objectifs ». Ce rire à la mode ne se caractérise donc pas par le courage, mais par la moquerie superficielle, faite d’attaques ad hominem, de plaisanteries sur le physique, tout en étant in fine respectueux des puissants : « Il faut faire rire à toute heure et à tout-va, non d’abord des mœurs politiques et sociales délétères – il faut pour cela quelques convictions –, mais d’individualités que l’époque désigne comme “risibles”, avec lesquelles, lorsqu’il s’agit de personnalités publiques, [l’humoriste] pourra entretenir d’excellents rapports privés. »
François L’Yvonnet souligne en fait combien « tout cela est parfaitement inoffensif. […] Tout fonctionne en spirale. La dérision systématique et professionnalisée entre en résonance avec son objet. C’est d’un même rythme qu’ils s’entrelacent, d’une même voix qu’ils s’expriment. La politique et l’humour ont versé dans le virtuel où tous les chats sont gris. Dès lors, il ne reste que le spectacle obscène du pouvoir et de l’argent célébrant leurs noces juteuses ». En somme, une sorte d’image grossissante de l’idéologie néolibérale dominante de notre époque.