Une « commission du monologue »

Loin de désamorcer le conflit, le « dialogue » voulu par Jean-Marc Ayrault le cristallise.

Lena Bjurström  • 6 décembre 2012 abonné·es

Saluée par Europe Écologie-Les Verts, l’annonce de la création d’une « commission du dialogue » avait laissé plus d’un opposant sceptique. Une semaine après, cette tentative d’apaiser les esprits dans un contexte de plus en plus tendu laisse peu d’espoir quant à l’évolution de la situation. Alors que les forces de l’ordre affrontent toujours les opposants au nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le « dialogue » semble mort-né. Dans un communiqué commun, l’Acipa, le Cedpa, l’Adeca et la Confédération paysanne dénoncent « l’opération de communication […] qui vise à créer l’illusion que le dialogue est possible ». Les écologistes eux-mêmes se méfient d’une instance « décidée sans la moindre concertation »,  qui « constitue un véritable passage en force », selon les mots du secrétaire général du parti, Pascal Durand. Pour rappel, ce n’est pas une mais trois commissions qui devront examiner le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes dans les prochains mois. L’une pour le dialogue, une autre pour minimiser les impacts sur les surfaces agricoles et une troisième, déjà demandée par la commission d’enquête sur le respect de la loi sur l’eau, pour examiner les méthodes mises en place par le concessionnaire du projet, Vinci, pour compenser la destruction des zones humides, qui représentent plus de 80 % de la zone du projet. Les travaux des deux dernières devraient d’ailleurs alimenter le rapport que la commission du dialogue doit remettre au Premier ministre d’ici à quatre mois.

Si la légitimité du comité scientifique sur l’eau est peu mise en doute, les deux autres commissions sont critiquées. La commission du dialogue est en effet constituée de trois experts directement nommés par Matignon. Son président, Claude Chéreau, est également à la tête de la Commission des comptes de l’agriculture de la nation. Après avoir conseillé François Mitterrand puis Lionel Jospin, il a tenu en 2009 un rôle d’expert auprès de Michel Barnier, ministre de l’Agriculture. Claude Brévan, urbaniste, était déléguée interministérielle à la Ville de 1998 à 2005, et Rouchdy Kbaier, spécialiste du droit communautaire, est membre du Conseil général de l’environnement et de l’agriculture durable. Outre le profil même des personnes choisies, c’est bien la mission de cette commission qui pose question. « Nous ne comptons pas entrer dans les détails techniques des opérations », a bien précisé Claude Chéreau, rappelant qu’il ne s’agissait pas de juger le projet. On ne peut dès lors que s’interroger sur ces « détails techniques » qui ne seront pas évoqués. S’agit-il de l’utilité aéronautique du projet, fortement critiquée, y compris par des pilotes ? Du rapport coût-bénéfice du projet, dont les chiffres auraient été manipulés, à en croire la contre-expertise du cabinet CE-Delft, qui prévoit non pas un bénéfice mais un déficit ? De l’impact environnemental ou des conséquences sur les surfaces agricoles ?

Le dilemme est identique pour la commission sur l’agriculture, au sein de laquelle aucun syndicat n’est représenté. Visant à « minimiser » l’impact sur les surfaces agricoles, cette commission n’est pas chargée de juger l’importance de cet impact. Les opposants ne plaident pas pour un aménagement du projet, ils le remettent profondément en cause. Or, il n’est nullement question, dans ces commissions, d’interroger son bien-fondé. Pour Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, « il n’est pas question de participer à une commission du monologue ». Partant de ce simple constat, le dialogue, tel que le veut le gouvernement, semble impossible. Et, les opposants l’ont souligné, il n’aura pas lieu tant que les forces de l’ordre seront présentes dans la zone du projet, où les affrontements se poursuivent. Les militants comptent désormais près d’une centaine de comités de soutien, et la dernière assemblée générale de l’Acipa a rassemblé plus de 400 personnes. Par sa tentative de désamorcer une contestation de plus en plus importante, et bruyante, le gouvernement reconnaît l’existence d’un rapport de force qu’il s’est employé, jusqu’à présent, à minimiser. Loin d’apaiser les tensions, ce geste de « conciliation », conjugué au report des défrichements jusqu’au rapport du comité scientifique sur l’eau, semble au contraire les inscrire dans la durée.

Écologie
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