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La grève à France Inter a remis en avant la profession de programmateur musical. Décryptage d’un exercice méconnu.
dans l’hebdo N° 1237 Acheter ce numéro
Vous êtes bien sur France Inter, en cette rentrée 2013. Avec une grève perturbant l’antenne. Et de la musique diffusée en continu. Qui semble tourner en boucle. En apparence. À vrai dire, elle est programmée de façon réfléchie, suivant quelques règles. Telle ambiance ou tel rythme selon l’heure (pas de hard rock aux aurores), un certain délai entre deux diffusions d’un même titre [^2].
Plus précisément, avertis par le préavis de grève, les programmateurs musicaux de la station ont été chargés en amont de construire chacun un programme, tout en respectant un cahier des charges : six nouveautés par heure (trois françaises et trois internationales). Des contraintes plutôt heureuses pour des férus de musique toujours aux aguets des productions, entre les salles, les bacs et Internet. Et l’occasion d’écrire une histoire musicale par tranches d’une heure, avec ses clins d’œil, ses ricochets. Des standards qui appartiennent au patrimoine, des titres plus récents qu’on n’entend plus, nommés dans le jargon « les récurrents », et des nouveautés donc, entrées dans la playlist (sélection musicale). D’une programmation à l’autre, l’histoire se doit d’être globale. Elvis Presley ou Nicolas Comment répondant ainsi à Saule et Charlie Winston. Pas de hasard. Ce type de programme, dit « de secours », est bâti pour répondre à un conflit social, à un incident technique, de sorte à avoir à tout moment un contenu disponible.
Que signifie une programmation musicale sur une radio généraliste comme Inter ? Difficile de le percevoir quand les ondes livrent principalement de la parole. Pour Didier Varrod, directeur de la musique sur France Inter depuis septembre 2012, « la musique n’est pas une respiration entre deux propos. Elle est un propos éditorial qui a autant de sens qu’une interview. Ce n’est pas une parenthèse, ou une “pause musicale”, selon l’expression. La musique dit des choses du monde ou au monde. Il y a là toute une éducation à faire, qui relève du service public. La musique n’a pas qu’une vocation à divertir ». À France Inter, dans l’exercice habituel d’une profession méconnue, ils sont cinq programmateurs en charge des émissions : Thierry Dupin, Muriel Perez, Jean-Baptiste Audibert, Jean-Michel Montu et Jubaka. Qui à l’évidence n’interviennent pas dans les cases précisément musicales, comme « Carrefour de Lodéon », de Frédéric Lodéon, « Addictions », de Laurence Pierre, ou « On parle musique », de Sylvie Chapelle, déterminant eux-mêmes leur programmation, à l’occasion épaulés par un consultant. Pour les autres émissions, chaque programmateur est en relation directe avec le producteur, suivant son planning, les sensibilités respectives, parfois la thématique du jour et l’actualité d’un disque (ce sera le cas le 18 mars prochain pour le premier album de Woodkid, chez Pascale Clark). Nécessairement, il s’agit de négocier avec une playlist actualisée régulièrement, comportant 38 titres francophones, 31 internationaux et quelques curiosités, parfois issues d’Internet (dont le groupe Fauve ou Nemir sont les derniers exemples). Forcément, on ne travaille pas avec Paula Jacques comme avec Philippe Collin. Dans tous les cas, les relations sont étroites. Même si une émission ne diffuse que deux titres dans son programme (ce qui souligne la tendance lourde depuis dix ans dans les radios généralistes, telle France Inter, où le verbe l’a emporté sur la note ; RMC, par exemple, ne proposant plus de musique).
Sur les 43 stations de France Bleu, dont l’antenne se porte davantage sur le terrain, la programmation musicale s’opère avec un logiciel, baptisé Selector, orchestrant lui-même les programmes d’après des critères préétablis (l’heure, le genre, la rediffusion). Est-ce à dire que la profession est en voie de disparition ? « Tant que des radios généralistes de service public existeront, tant qu’il y aura des émissions de contenu, éditorialisées, observe Didier Varrod, l’apport d’un spécialiste pour “habiller” les programmes sera toujours nécessaire pour apporter un contrechamp. On n’est pas encore dans un monde 100 % virtuel ! » De quoi avoir toujours besoin de ces gens de l’ombre.
[^2]: Sur NRJ, la même chanson peut tomber douze ** fois dans la journée.