Des dossiers à hauts risques

Chômage, marché du travail, retraites et réforme bancaire : des orientations à venir particulièrement délicates pour le gouvernement Hollande et qui vont susciter beaucoup de remous à gauche.

Thierry Brun  et  Michel Soudais  et  Nina Bontemps-Terry  • 10 janvier 2013 abonné·es

L’année 2013 s’annonce « rude », a prévenu François Hollande, confirmant les sombres mises en garde de plusieurs ministres. Le chef de l’État a beau répéter que « la crise est derrière nous », il n’est pas question pour lui d’infléchir la politique d’austérité conduite par le gouvernement et marquée par l’engagement maintes fois répété de réduire le déficit public à 3 % du produit intérieur brut contre 4,5 % fin 2012, alors même que la croissance est atone. Cette orientation ne mécontente pas seulement le Front de gauche, qui réclame d’autres choix politiques. Dans l’Express, Pascal Durand, le patron d’Europe Écologie-Les Verts, brandit la menace d’un départ de Cécile Duflot et de Pascal Canfin du gouvernement « si [celui-ci] ne s’engage pas sur une puissante initiative en faveur de la fiscalité écologique » d’ici à l’été. Mais pour l’Élysée, l’impopularité du nouveau pouvoir, en forte baisse dans les sondages, ne serait qu’un problème de communication. D’où la nomination de Claude Sérillon, un ancien présentateur du « 20 heures », comme « conseiller à la présidence ». Sa mission ? « Montrer la cohérence » de la politique menée. Une tâche qui s’annonce périlleuse au vu des dossiers qui attendent le gouvernement.

Chômage

Le rapporteur des Finances à l’Assemblée nationale, le député socialiste Christian Eckert, avait pourtant prévenu – et il n’était pas le seul – que la taxation à 75 % des revenus supérieurs à 1 million d’euros serait rejetée par le Conseil constitutionnel. Cette mesure emblématique du budget 2013, qui permit à François Hollande d’affirmer « les riches paieront » , a donc été censurée par la haute juridiction « pour méconnaissance de l’égalité devant les charges publiques ». Elle aurait aussi permis de mieux faire passer la pilule de l’austérité budgétaire, alignée sur les critères du Traité budgétaire européen (TSCG). « Pour moi, cette promesse de taxation à 75 % des plus riches, c’était juste de la poudre aux yeux » , a critiqué l’économiste Thomas Piketty. Ce proche du PS estime que cette décision du Conseil est la « conséquence du bricolage fiscal qui tient lieu de politique de gauche au gouvernement » . Depuis de nombreux mois, l’économiste défend une taxation des plus riches à 60 %, CSG incluse, s’appliquant à toutes les sources de revenus, capital comme travail. De leur côté, les partis du Front de gauche n’ont cessé d’alerter sur la nécessité d’un impôt plus progressif jusqu’aux tranches supérieures avec l’instauration d’un revenu maximal. Candidat à la présidentielle, François Hollande avait promis une « grande réforme » de l’impôt sur le revenu, qui est restée dans les cartons. Après les revers essuyés ces dernières semaines, notamment le recul sur la taxation des plus-values de cessions d’entreprise après la fronde des « pigeons », le premier budget du gouvernement se révèle au grand jour comme étant un modèle de l’orthodoxie budgétaire prônée par Bruxelles, ce qui ne déplaira pas aux marchés financiers.

François Hollande a décrété la mobilisation autour d’une « grande cause »  : l’inversion de la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année, et cela « coûte que coûte ». Mais sans changer le cap d’une politique d’austérité aux effets négatifs sur l’emploi, souligne le Front de gauche. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime que les restrictions mises en œuvre pour réduire le déficit budgétaire vont favoriser le recul de la croissance et donc la hausse du taux de chômage. Celui-ci, selon l’Insee, pourrait atteindre 10,5 % des actifs au second trimestre. Le gouvernement table sur les 100 000 emplois d’avenir, adoptés dans une loi fin 2012, mais « il en faudrait plus de 300 000 pour inverser la courbe du chômage », indique Éric Heyer, économiste à l’OFCE. Économistes et employeurs estiment aussi que le projet de loi créant le contrat de génération, qui sera discuté à l’Assemblée nationale dès le 15 janvier, ne provoquera pas une baisse massive du chômage. FO et la CGT critiquent des mesures qui ne permettent pas un réel accès à l’emploi. Les syndicats soulignent aussi que le gouvernement a su dégager un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros pour la compétitivité des entreprises, sans aucune conditionnalité, alors qu’elles sont les premières responsables du chômage de masse et de la précarisation de l’emploi.

Travail

Sans accord des partenaires sociaux dans la négociation des 10 et 11 janvier sur la sécurisation de l’emploi, le gouvernement légiférera. Ce qui promet un débat agité à gauche. François Hollande s’est dit prêt à « assumer » une réforme ambitieuse pour lutter notamment contre la « peur de l’embauche pour les employeurs » et relancer la croissance. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, veut créer « un nouveau modèle français » dans un pays « plus accueillant à la prise de risque » et « à l’innovation économique et sociale ». La Commission européenne n’a pas manqué de saluer ces annonces. Les propositions du Medef vont dans le même sens et poussent à une vaste réforme du marché du travail, avec des mesures facilitant les licenciements par la création d’un nouveau contrat de travail, une mobilité imposée, ainsi que la possibilité de restructurations sans plan social. Les organisations patronales rejettent de nouveaux droits pour les chômeurs et les salariés, que le gouvernement pourrait en partie intégrer dans le futur projet de loi, afin de défendre l’idée d’un marché du travail plus souple et plus protecteur. Si la législation envisagée favorise le patronat, « les effets seront catastrophiques pour le gouvernement d’un point de vue électoral. Précariser les salariés, c’est ouvrir la porte aux extrêmes », prévient Mohamed Oussedik, secrétaire confédéral de la CGT, fermement opposé à un accord de flexibilité.

Retraites

L’avenir des retraites, plus que jamais incertain, s’est rapidement imposé à François Hollande et au gouvernement. Après le rétablissement partiel du droit au départ à 60 ans pour les assurés qui ont commencé à travailler avant 20 ans, mesure prise au début de son mandat, François Hollande est en terrain miné sur le financement des retraites après les sombres perspectives du Conseil d’orientation des retraites (COR) publiées mi-décembre. Tous régimes confondus, le déficit des retraites devrait atteindre au moins 20,1 milliards d’euros en 2020. Bien loin des objectifs d’équilibre de la réforme Sarkozy de 2010, laquelle a augmenté l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l’âge du taux plein de 65 à 67 ans. Un second état des lieux du COR sera remis au gouvernement le 22 janvier, et une commission d’experts se réunira pour préparer des pistes de réforme, présentées au gouvernement dès février. Une négociation avec les syndicats doit ensuite s’engager au printemps sur ce dossier explosif qui avait fait descendre près de deux millions de personnes dans la rue en 2010. La patronne du Medef, Laurence Parisot, a d’ores et déjà indiqué qu’il n’était pas question d’augmenter les cotisations : « L’idéal serait que, dans les deux ans, nous puissions augmenter l’âge légal à 63 ans et la durée de cotisation à 43 annuités », contre 41,5 actuellement. Le gouvernement suivra-t-il cette voie contestée à gauche ?

Réforme bancaire

Un monde sépare le récent projet de loi « portant réforme bancaire et financière » et l’engagement du candidat François Hollande de scinder les activités de dépôt des activités spéculatives des banques. La réforme, qui devrait être présentée à l’Assemblée nationale au printemps, a été vidée de cette promesse à la demande du lobby bancaire. La posture gouvernementale suscite de nombreux remous au sein de la gauche parlementaire, en particulier au PS. « La séparation réelle des activités “spéculatives” du reste des activités des établissements de crédit est indispensable », ont réagi notamment les socialistes Christian Paul, Laurence Rossignol et Pervenche Berès.

Politique
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