Homosexualité : Ces « alinéas scélérats »

Le sociologue Antoine Idier retrace la lutte pour la dépénalisation de l’homosexualité entre 1977 et 1982.

Olivier Doubre  • 24 janvier 2013 abonné·es

Toute lutte transforme ses acteurs. Cette évidence n’épargne pas le mouvement gay et lesbien (ou LGBT, comme l’on dit aujourd’hui). Passé d’abord par une phase d’affirmation, dans l’élan révolutionnaire post-1968, avec le légendaire Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), apparu en   1971, le mouvement va se concentrer sur l’égalité des droits et la lutte contre les discriminations. Non sans mal, et avec moult divisions. D’un côté, les tenants d’une ligne d’extrême gauche, pour qui cette nouvelle question politique participe de la lutte des classes et de la contestation de la société « hétérosexiste ». De l’autre, une ligne plus réformiste, travaillant à l’abrogation des dispositions discriminatoires du code pénal. À l’heure du débat sur le droit des couples de même sexe au mariage, à l’adoption et à la procréation médicalement assistée, il est intéressant de se retourner sur quelque quarante   années de mouvement LGBT, pour mieux comprendre ses évolutions aujourd’hui.

Le sociologue Antoine Idier a justement travaillé sur les années de « transformation » du mouvement gay, celles de la seconde moitié de la décennie   1970, jusqu’à l’abrogation des derniers « alinéas scélérats », sous l’égide de Robert Badinter en   1982, en particulier celui qui maintenait la « majorité homosexuelle » à 18 ans – contre 15 ans pour les hétérosexuels. Après les années du Fhar, « l’affirmation d’une parole homosexuelle et de son caractère politique n’est plus centrale, la fin des années 1970 est davantage marquée par des luttes concrètes, sur le terrain du droit, pour faire changer la législation ». Les discussions au sein des associations, multiples désormais, portent aussi sur la question de « l’identité homosexuelle » et sur les différentes sexualités… jusqu’à la pédophilie. Une autre époque… La mobilisation sera longue et protéiforme, avec l’éclosion de nombreux groupes ou associations, de publications, de manifestations culturelles ou militantes, de procès médiatisés et de candidatures « de témoignage » aux élections. Mais aussi de travaux de sciences sociales, au premier rang desquels l’ Histoire de la sexualité, de Michel Foucault. Le mouvement connaît bientôt des scissions. Après des divergences par rapport à la contestation révolutionnaire d’extrême gauche, viennent, comme au sein du Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (Cuarh, né en 1979), celles sur la nature même de la lutte. Ainsi, une partie des membres du Cuarh écrit, pour justifier son départ, qu’elle « refuse de s’inféoder à toute idéologie, fût-elle de gauche » et « de faire croire que la lutte contre l’homophobie passe avant tout par le combat contre les partis de droite, comme si la société de classes était la seule responsable des maux qui frappent les homosexuels et les lesbiennes » … Le débat porte en fait sur le caractère identitaire, voire « catégoriel », des revendications du mouvement. Avec l’arrivée du virus du sida et l’hécatombe qui en découle au sein de la communauté gay, les mêmes questions se posent quant aux rapports avec la gauche, désormais au pouvoir. Or, récemment, juste avant l’ouverture du débat sur le mariage, le fondateur d’Act Up-Paris, Didier Lestrade, jetait un pavé dans la mare en fustigeant la « droitisation des gays, symptôme d’un individualisme et d’un consumérisme forcenés » (voir Politis n° 1191).

Si la lutte pour le mariage semble avoir temporairement ressoudé une communauté divisée, certains gays, « en quête d’intégration et de respectabilité », apparaissent sensibles à l’idéologie du « choc des civilisations » – qu’ils lisent aussi comme un « choc des sexualités » entre un Occident supposé « tolérant et libéral » et « le monde musulman, sexiste et homophobe ». Un phénomène déjà assez développé chez une partie des gays outre-Atlantique, sur la voie d’une normalisation « homonationaliste » depuis le 11 Septembre, comme le montre Jasbir K. Puar [^2]. Si l’égalité advient enfin en matière de droit de la famille, les gays et les lesbiennes résisteront-ils à ces perverses sirènes ? Ou bien, comme d’autres, oublieront-ils leur histoire de minorité discriminée ?

[^2]: Homonationalisme. Politiques queer après le 11 Septembre , Jasbir K. Puar, traduit de l’anglais (États-Unis) par Maxime Cervulle & Judy Minx, Amsterdam, 154 p., 12 euros.

Idées
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
Thiaroye, un massacre colonial
Histoire 20 novembre 2024 abonné·es

Thiaroye, un massacre colonial

Quatre-vingt ans après le massacre par l’armée française de plusieurs centaines de tirailleurs africains près de Dakar, l’historienne Armelle Mabon a retracé la dynamique et les circonstances de ce crime odieux. Et le long combat mené pour briser un déni d’État aberrant.
Par Olivier Doubre
L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes
Intersections 19 novembre 2024

L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes

La comédienne Juliette Smadja, s’interroge sur la manière dont les combats intersectionnels sont construits et s’ils permettent une plus grande visibilité des personnes concernées.
Par Juliette Smadja
États-Unis, ramène la joie !
Intersections 13 novembre 2024

États-Unis, ramène la joie !

La philosophe, professeure à l’université Paris VIII et à la New-York University, revient sur les élections aux Etats-Unis et examine l’itinéraire de la joie dans un contexte réactionnaire : après avoir fui le camp démocrate, c’est désormais une émotion partagée par des millions d’électeurs républicains.
Par Nadia Yala Kisukidi