La santé mentale, le nouveau défi d’Obama
Après la tuerie de Newtown, le traitement des troubles psychiatriques est en débat. Correspondance d’Alexis Buisson.
dans l’hebdo N° 1237 Acheter ce numéro
«J ’aime mon fils, mais il me terrifie. » Ces mots cruels figurent dans une tribune parue sur le site d’information américain Gawker, deux jours après la fusillade de Newtown. Ils sont ceux d’une mère dont le fils de 13 ans, Michael, souffre de maladie mentale. Lors d’explosions de colère, il la menace et laisse entendre qu’il se fera du mal ou en fera aux autres. Liza Long finit par craquer. Après une énième crise, elle conduit son fils à l’hôpital et écrit, sur le formulaire d’admission : « J’ai besoin d’aide. » Depuis la fusillade de Newtown, dans le Connecticut, l’Amérique a beaucoup parlé de contrôle des armes à feu, moins de prise en charge des maladies mentales. Il y aurait pourtant beaucoup à dire. Seung-Hui Cho à Virginia Tech, Jason Holmes dans un cinéma d’Aurora, Jared Lee Loughner à Tucson, Adam Lanza à Newtown : tous les auteurs des tueries de masse récentes souffraient de troubles mentaux ou comportementaux à des degrés divers. Derrière, il y a souvent, comme Liza Long, des parents désemparés, découragés par le coût prohibitif des soins.
Il l’avait promis. Un mois après la fusillade de Newtown, Barack Obama tenait une conférence de presse à la Maison Blanche pour détailler son plan d’action pour prévenir toute nouvelle tuerie de masse et enrayer « l’épidémie » d’armes à feu dans le pays. Parmi les propositions les plus controversées, le Président veut demander au Congrès d’interdire les armes d’assaut, utilisées dans plusieurs fusillades. Ces armes semi-automatiques ont été interdites sous Bill Clinton, avant d’être réhabilitées en 2004 sous George W. Bush.
Le Parti républicain, majoritaire à la Chambre des représentants, y voit une atteinte au Second amendement. Le puissant lobby des armes, la National Rifle Association (NRA), s’est attaqué au Président en dénonçant dans une vidéo son refus de poster des gardes armés dans les écoles, alors que ses deux filles bénéficient de la protection de gardes du corps. Le débat s’annonce chaud, donc, mais Obama peut compter sur un allié de taille : le peuple américain. Sondage après sondage, ce dernier se dit favorable à davantage de contrôles sur les armes à feu.
Autre barrière : les soins coûtent cher. Les dépenses dites « out of pocket », payées directement au fournisseur de soins sans passer par un assureur ou une tierce personne, peuvent varier de 100 à 5 000 dollars, selon une étude de la SAMHSA, l’agence fédérale dédiée à la santé mentale, portant sur des patients traités en dehors des institutions spécialisées entre 2005 et 2009. Les assurances, voulant éviter tout traitement inutile, prennent mal en charge ces soins. Elles imposent des franchises élevées et restreignent les services remboursables. Selon l’agence, 45 % des personnes non traitées citent le coût comme principale raison de leur refus de soins. « Le système actuel est fragmenté, et les ressources nécessaires pour traiter les patients gravement malades ne suffisent pas », résume Wayne Lindstrom, président de Mental Health America, un groupe qui lutte contre la stigmatisation des malades mentaux. Les trois dernières années n’ont rien arrangé. Avec la crise, les budgets alloués par les États à la santé mentale ont baissé de 1,8 milliard de dollars. Les hôpitaux psychiatriques ont perdu quelque 3 200 lits, et plus de 1 200 autres sont en danger.
Triste exemple : l’Alabama. Depuis 2009, l’État a réduit de 36 % son budget pour les soins mentaux. À partir de mai, il ne comptera plus que deux hôpitaux psychiatriques publics. Les fusillades de ces dernières années auraient pu déclencher des débats politiques sur les carences du système. Mais pour George Staurski, auteur d’un livre sur son combat contre la bipolarité, il n’en a rien été. « Après la tuerie de Tucson, on a appelé à un débat sur la santé mentale, pour trouver des solutions et prévenir de nouvelles tragédies. Depuis, je n’ai pas vu un seul membre des médias nationaux demander aux hommes politiques pourquoi ce débat n’a jamais eu lieu. » Le drame de Newtown pourrait marquer une prise de conscience. Le 16 janvier, lors d’une conférence de presse (voir encadré), Barack Obama a formulé plusieurs pistes de réforme. Il veut notamment mettre fin aux restrictions de remboursement pratiquées par les assurances et former les enseignants à identifier les élèves souffrant de troubles, afin qu’ils soient mieux pris en charge. Il a en outre demandé à son administration d’ouvrir un débat sur la santé mentale.
Autant de décisions applaudies par les associations, même si Wayne Lindstrom espère que les solutions trouvées n’amplifieront pas la stigmatisation de la maladie mentale. « À chaque fois que l’on entend parler de créer une base de données pour répertorier les malades mentaux ou de ne plus leur donner d’armes, cela augmente le rejet, qui est déjà élevé, dit-il. Il faut découpler maladie mentale et propension à la violence. Un malade mental n’est pas violent, sauf s’il prend certaines substances. »