Mali : l’heure du départ
dans l’hebdo N° 1237 Acheter ce numéro
Àpropos de l’intervention française au Mali, nous avons entendu depuis deux semaines beaucoup de circonlocutions. Entre ceux qui soutiennent franchement et ceux qui s’opposent sans ambages (le NPA et Noël Mamère, à peu près seuls je crois), nous avons été affligés d’argumentaires alambiqués qui traduisent surtout de l’embarras. Raison de plus pour réaffirmer une position que nous avons exprimée nettement la semaine dernière. Oui, selon nous, il fallait intervenir pour faire barrage à l’avancée des jihadistes vers Bamako. Oui, la prise de Bamako par ces brigands déguisés en musulmans aurait été un désastre pour les femmes (elles d’abord) et les hommes de la capitale malienne. Et oui, c’eût été la promesse pour demain d’une autre guerre bien plus meurtrière encore. Mais cet engagement ne vaut pas blanc-seing pour la suite. Et cela n’empêche évidemment pas de deviner, derrière les desseins humanitaires, la gestion des intérêts d’Areva et de Total, ni de s’interroger sur les causes profondes de cette crise, à la fois sociales et nationales. La question touareg, par exemple, et plus généralement la place du Mali dans le commerce international. Nous faisons allusion, bien sûr, aux cours du coton et à ces quatre millions de Maliens dépendant de ce secteur, livrés à la concurrence de producteurs américains grassement subventionnés. D’où un dramatique appauvrissement.
On ne refera pas ici l’histoire des rapports Nord-Sud. Mais à force de négliger ou d’aggraver des problèmes de fond, on crée des situations d’urgence qui sont de toute façon détestables, quelque solution qu’on leur trouve. Pour en revenir au « temps court » de la politique, et même de la guerre, disons que si la France de M. Hollande a bien fait de bloquer l’offensive jihadiste, elle aurait grand tort de poursuivre aujourd’hui d’autres objectifs.
Jean-Yves Le Drian nous inquiète quand il affirme vouloir « la reconquête totale du Mali ». La formule sonne désagréablement. Ce n’est évidemment pas à la France de « reconquérir le Mali ». Et même si on fait grâce au ministre de la Défense d’une tournure maladroite, ces mots font redouter une dérive. Jusqu’où vont-ils nous mener ? Certes, il faut espérer qu’une force interafricaine prenne le relais. Mais il ne faut ni que l’attente soit trop longue ni que la France ait, « en attendant », la tentation de s’installer dans les villes du nord ou de pourchasser les jihadistes dans leurs dernières « poches de résistance », comme l’a également laissé entendre M. Le Drian. Autrement dit, l’heure est venue du repli. En évitant autant que possible que l’armée malienne se livre à des représailles, comme c’est déjà le cas contre des Touaregs. S’il s’en tenait réellement là – ce qui n’est pas acquis à l’heure où nous écrivons –, François Hollande pourrait être gratifié d’un sans-faute. Les méchantes langues diront même qu’il montre plus de fermeté dans la lutte contre les jihadistes que dans la résistance au Medef. Mais ce n’est pas notre propos ici. En revanche, le président de la République n’a pas été irréprochable dans l’affaire de la prise d’otages. Les mots de satisfecit prononcés à l’adresse du régime algérien après le carnage de Tigantourine étaient-ils vraiment nécessaires ? Était-on obligés, après un assaut qui a abouti à la mort de la quasi-totalité des otages, de juger que l’Algérie avait eu « les réponses les plus adaptées » ? Devait-on prononcer un tel éloge à l’issue d’une opération où les dirigeants algériens ne se sont posé, semble-t-il, à aucun moment la question du sort des otages ? Certes, la France venait d’obtenir, difficilement, l’autorisation de survol du territoire algérien pour mener à bien son opération au Mali. Mais tout de même, est-ce bien le même président de la République qui condamne si fermement le régime syrien – avec raison – et qui tresse des lauriers à son clone algérien ? N’oublions pas que M. Bouteflika, et les généraux qui l’inspirent, sont en quelque sorte des miraculés des révolutions arabes.
L’hommage est d’autant plus difficile à entendre que l’on connaît maintenant le degré d’implication du régime d’Alger dans la dérive dite islamiste. Les preneurs d’otages du site de Tigantourine, à commencer par le désormais fameux « émir » Mokhtar Belmokhtar, dit « le borgne », sont des sous-produits du coup de force militaire de janvier 1992. À l’époque, on s’en souvient, l’armée, la même que celle qui a donné l’assaut à Tigantourine, avait interrompu un processus électoral favorable aux islamistes, marquant ainsi un coup d’arrêt à un mouvement démocratique entamé par le soulèvement d’octobre 1988. L’Algérie avait mené sa « révolution arabe » avant tout le monde. Mais, au lieu d’accepter que le mouvement islamiste entre dans le champ politique, les généraux l’avaient rejeté dans le maquis, précipitant une apocalypse qui fit 150 000 morts. Cette catastrophe n’en finit pas d’essaimer dans la région. À propos du Mali, nous parlions des problèmes irrésolus de l’histoire qui finissent toujours par resurgir. Nous y sommes là aussi avec cette terrible prise d’otages et la répression qui s’ensuivit.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.