Un pervers à l’étude

Un notaire pas ordinaire , d’Yves Ravey, un redoutable roman aux accents chabroliens.

Christophe Kantcheff  • 17 janvier 2013 abonné·es

U n notaire peu ordinaire. La rime est pauvre et le titre anodin. Pris au piège, Cutter ou Enlèvement avec rançon  [^2], quelques-uns des titres précédents d’Yves Ravey, avaient plus de piquant. Il ne faut pourtant pas s’y tromper : Un notaire peu ordinaire est un roman redoutable. Comme d’habitude chez Yves Ravey, on ne sait pas où on va. Mais, cette fois-ci, la piste initiale est trop grosse pour être honnête. Freddy sort de prison, où il a purgé quinze ans pour pédophilie. Il est le cousin de madame Rebernak, qui le tient pour toujours dangereux, d’où sa volonté de ne pas le voir traîner près de chez elle, et encore moins autour de sa fille, Clémence.

On est avec des gens de peu : veuve, madame Rebernak fait le ménage au collège du coin. Son fils, le narrateur, travaille dans une station-service pour financer ses études à l’université. Quant à Freddy, il est totalement démuni, mais sa réinsertion s’annonce possible. Clémence fréquente Paul, le fils du notaire, Maître Montussaint. C’est une forme de protection contre Freddy. Montussaint est aussi intervenu pour que madame   Rebernak, à la mort de son mari, obtienne un emploi. Autrement dit, le bien vient des dominants, mais la dépendance aussi. Le « notaire peu ordinaire » n’entre en scène qu’à la moitié du roman. Flotte d’emblée comme une ombre sur son personnage. L’atmosphère prend peu à peu un tour chabrolien. Une petite ville a priori tranquille, avec sa bourgeoisie et ses notables respectables qui dissimulent leur perversité, jusqu’à ce que celle-ci éclate au visage des plus innocents. Gare aux conséquences.

Yves Ravey croise la mécanique tendue du récit à suspense avec l’ambiance faussement calme du roman simenonien. Il affectionne les clins d’œil. Ici, un livre oublié dans une voiture risque de confondre le méchant. C’est un roman que lisent les lycéens, avec un perroquet sur sa couverture. Le Flaubert des Trois Contes  ? Un cœur simple pourrait-il faire perdre la face à un cœur retors ? L’énigme, là encore aux accents d’antagonisme de classes, reste entière. Nous qualifions plus haut le roman de redoutable. C’est qu’il débouche sur un trouble profond, une terrible interrogation. La fin, violemment punitive, apporte-t-elle un soulagement ou appelle-t-elle d’emblée la réprobation ? Est-elle juste ? Morale ? Sentiment et raison ici se contredisent. L’inconfort du lecteur démontre le diabolisme d’ Un notaire peu ordinaire.

[^2]: Enlèvement avec rançon est réédité en poche chez Minuit, coll. « Double », 125 p., 7 euros.

Littérature
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