Archives : Quand la radio était libre

Créée lors des grandes crises de la sidérurgie, la station Lorraine cœur d’acier renaît aujourd’hui sous forme de CD. Une mémoire ouvrière et radiophonique.

Jean-Claude Renard  • 21 février 2013 abonné·es

Territoire de Longwy. Cette cité dont on dit « qu’elle ne s’éteignait jamais tant la lueur des coulées d’acier l’éclairait ». Décembre 1978. Le plan « Davignon » prévoit la liquidation de la sidérurgie française. La mobilisation s’impose. Avec son corollaire de solidarités, d’initiatives diverses. Parmi elles, la création d’une radio, au sein de l’hôtel de ville, place d’Arche, sous l’égide de la CGT et avec la collaboration d’une poignée de journalistes (Marcel Trillat, Jacques Dupont, Bernard Martino). Nom de baptême : Lorraine cœur d’acier. Ou LCA pour les initiés. Ouvrant son antenne le 17 mars 1979, à 16 heures. 97,6 Mégahertz.

C’est alors une radio pirate (TDF portera plainte), qui bénéficie d’un gros émetteur perché au-dessus de l’église, arrosant tout le bassin et au-delà jusqu’à Reims et Strasbourg, protégée des forces de l’ordre par des costauds mais ouverte à toutes les idées et aux partis (à l’exception du FN). Une radio faite par et pour tous les acteurs impliqués dans la sauvegarde du bassin. Dont le slogan est « Écoutez-vous ». En attendant la loi du 29 juillet 1982 autorisant l’émission des radios privées, LCA s’inscrit dans le foisonnement des radios libres de l’époque. Celui de la parole rendue. La parole d’ouvriers, de femmes, d’immigrés, vivante, fraternelle. Autant de voix de sans-voix nourrissant ses ondes, « exclus des moyens de communication ». En guise d’hymne, une chanson écrite par Maurice Vidalin, « le Chiffon rouge », composée par Michel Fugain, entonnée au cours des manifestations. Pour beaucoup, le micro est un « outil de revanche », « un outil de lutte ». Très vite, cette radio d’espoir devient le réceptacle, la caisse de résonance d’autres conflits sociaux, peu ou pas relayés par la presse. Une station qui pourrait s’entendre aujourd’hui comme un ancêtre des réseaux sociaux, dépassant les grands médias.

À l’antenne de LCA, se succèdent des débats sur la sidérurgie, l’intervention de politiques, les revendications ouvrières, des « compagnons de colère » et « compagnons de combats », une revue de presse ironique décryptant l’information des médias traditionnels, des sujets de société autour du racisme, du droit des femmes. Soit une radio engagée politiquement, mais pas seulement. S’y bousculent encore des émissions musicales, contemporaines et médiévales, des rendez-vous littéraires et poétiques, des programmes bilingues, en français et en arabe, animés par des immigrés (peut-être bien réalisés en radio pour la première fois par des immigrés pour des immigrés), des concerts retransmis en direct. LCA se fait même passage obligé pour les artistes en tournée. Entre autres, Guy Bedos y fait halte, endossant la casquette de journaliste pour interviewer les ouvriers. Créée pour le temps d’une lutte, Lorraine cœur d’acier aura vécu seize   mois, jusqu’en septembre   1980, au-delà même des batailles perdues. Avant d’être lâchée par la CGT, qui préfère voir à sa tête des responsables maison, plus disciplinés que les journalistes en place, rarement avares de critiques à l’égard du syndicat, du PC ou des pays de l’Est. Seize   mois d’aventures radiophoniques en toute liberté, enfouies dans les archives départementales de Seine-Saint-Denis et exhumées trente-trois   ans après par trois passionnés des ondes cornaqués aux radios associatives, Pierre Barron, Raphaël Mouterde et Frédéric Rouziès. Qui ajoutent aux archives les mémoires prolixes (et nostalgiques), les témoignages actuels d’anciens auditeurs, de militants, d’animateurs ou encore de Marcel Trillat, partie prenante de cette épopée de résistance, estimant aujourd’hui que « la radio a perdu sans avoir tort ». Une épopée possédant une actualité brûlante, de Florange à Gandrange, de PSA à Goodyear, tandis que la concentration des médias, depuis, s’est largement renforcée.

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