Bruno Toussaint : « Les médecins sont souvent mal informés »

Pour Bruno Toussaint, directeur de Prescrire, les firmes influencent des gynécologues qui délivrent des prescriptions inadaptées, et ne savent pas faire le lien entre un problème et un médicament.

Ingrid Merckx  • 7 février 2013 abonné·es

Mi-décembre, une jeune femme déposait une plainte imputant son accident vasculaire cérébral à sa pilule de 3e génération. Le 25 janvier, l’Agence du médicament reconnaît un lien entre quatre décès et une autre pilule : Diane 35. Les éclaireages de Bruno Toussaint sur ce nouveau scandale sanitaire.

Diane 35, médicament sur lequel Prescrire alerte depuis 1987, vient seulement d’être retiré du marché. Pourquoi si tard ?

Bruno Toussaint : Dans les « indications » de Diane 35, il y a « acné », mais la « posologie » dit comment l’utiliser comme contraceptif. Faire les deux en utilisant un progestatif, la Cyproterone, ayant des effets indésirables mal connus, c’était très contestable. Au fil des ans, il est apparu que Diane 35, et ses génériques, exposait à plus de phlébites et d’embolies pulmonaires que les pilules de 2e génération. Cela, on le sait depuis une dizaine d’années. En revanche, le problème initial est connu depuis toujours. Diane 35 était prescrite non pas « hors autorisation de mise sur le marché » mais « au bord ». De ce point de vue, c’est différent du Mediator, dont la notice disait « contre le diabète ou l’excès de graisses » mais nulle part « pour maigrir ».

Que penser de la décision du gouvernement concernant les pilules de 3e génération ?

C’est trop timide. On sait depuis une dizaine d’années qu’elles ne sont pas plus efficaces que celles de 2e génération et un peu plus dangereuses. C’est donc très bien de les dérembourser et de demander leur réévaluation, mais il faut les retirer du marché ! Sans urgence : la plupart des femmes qui les prennent s’en trouvent bien et il faut un délai pour trouver une autre contraception qui convienne : une autre pilule, ou le stérilet, par exemple, y compris avant une première grossesse.

Pourquoi les femmes ne savent-elles pas ce qu’elles prennent ?

Beaucoup ignoraient en effet que leur pilule pouvait être dangereuse. C’est le problème général de défaut d’information sur les médicaments. Les pilules sont des médicaments particuliers car elles ne soignent pas des maladies, mais elles contiennent des substances chimiques qui ont beaucoup d’effets sur le corps.

Comment expliquer que les médecins aient autant prescrit Diane 35 et les pilules de 3e génération ?

Ce sont surtout les gynécologues qui sont en cause. Les spécialistes sont généralement plus informés que les généralistes mais leur information provient essentiellement des firmes pharmaceutiques. C’est plus facile pour les firmes d’influencer quelques milliers de spécialistes ou leaders d’opinion que 50 000 généralistes. En outre, ça n’est pas évident pour un généraliste de dire à une patiente que son gynécologue ne fait pas le meilleur choix. La formation des médecins est également sous influence. À la faculté, où des experts enseignent, on utilise encore beaucoup les noms de marques plutôt que la dénomination commune internationale (DCI), le nom scientifique du médicament.

Comment les firmes influencent-elles des « leaders d’opinion » ?

Elles peuvent inviter quelques spécialistes bien placés à participer à des réflexions sur des futurs médicaments, ou à des études avec certains de leurs patients, moyennant rémunération. Elles leur proposent aussi de participer à des colloques à l’étranger où ils rencontrent d’autres spécialistes, ou de figurer parmi les signataires d’articles publiés dans des revues prestigieuses… Ils ont le sentiment de garder la tête froide mais ils surestiment souvent leur capacité à résister à leur influence. Il y a des situations de pot-de-vin, bien sûr, mais la plupart du temps, cette influence s’exprime de manière inconsciente…

Le nombre de femmes concernées par ces affaires autour des contraceptifs oraux est-il sous-évalué ?

Pour 100 000 femmes par an, il y a environ 20 phlébites ou embolies pulmonaires avec les pilules de 2e génération, et 40 avec celles de 3e génération. Ces chiffres semblent fiables. En revanche, les 4 ou 7 décès liés à Diane en France sont sans doute sous-estimés. On n’apprend pas aux médecins à faire le lien entre un problème et un médicament. De plus, déclarer un accident, c’est du travail qui prend du temps et n’est ni rémunéré ni valorisé. Beaucoup ne le font pas.

**Ces affaires jettent le doute sur les contraceptifs oraux. Le risque n’est-il pas de voir grimper les « pilules du lendemain » et le taux d’avortements ? **

J’espère que non… Mais en laissant traîner de tels problèmes, les agences du médicament cherchent les ennuis. Prescrire n’a rien découvert, les données sont connues depuis longtemps. D’où notre dossier sur les médicaments plus dangereux qu’utiles [^2]. Il faut sortir de ce système et apprendre à anticiper les drames et les crises.

[^2]: « Pour mieux soigner, des médicaments à écarter », Prescrire, février 2013.

Société Santé
Temps de lecture : 4 minutes

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