Ces juges qui gouvernent

La Cour des comptes ne se contente plus de contrôler. Son dernier rapport dicte au gouvernement son programme économique.

Michel Soudais  • 21 février 2013 abonné·es

Le volumineux rapport de la Cour des comptes, articulé cette année autour de 45 thèmes, ne se contente plus de traquer les gaspillages et les « ciblages défectueux » des aides et politiques publiques. Désormais, l’institution livre ce que doit être à ses yeux « la » priorité du gouvernement et, plus largement, de l’ensemble des exécutifs locaux. Elle pourrait se résumer en trois mots : faire des économies. Tout en estimant hors d’atteinte l’objectif d’un déficit à 3 % du PIB en 2013, les magistrats de la rue Cambon insistent dans leur rapport annuel sur la réduction du déficit « structurel », c’est-à-dire hors aléas de la conjoncture. Or, cet effort structurel « sans précédent », qui représente 38 milliards d’euros de hausses d’impôts et d’économies en 2013 – 5 milliards de plus que dans leur audit rendu début juillet –, peut, lui, être réalisé, estiment les magistrats financiers. Mais à condition de faire de nouvelles économies, jugées « indispensables ». De manière générale, après des hausses d’impôts « massives » décidées par la droite puis la gauche, « la priorité absolue » doit être donnée aux économies de dépenses, affirme la Cour, qui exhorte le gouvernement à engager « sans tarder » les « réformes nécessaires dans l’ensemble des administrations publiques »  : l’État et ses opérateurs, les entreprises qu’il contrôle, les collectivités territoriales et la Sécurité sociale.

Le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, ancien député socialiste, enfonce le clou dans un entretien au Monde (13 février) : l’effort a jusqu’ici porté « aux trois quarts sur l’augmentation des prélèvements obligatoires et pour un quart sur le freinage des dépenses. Il doit être rééquilibré ». Ce qui ne l’empêche pas de prôner quatre jours plus tard la fiscalisation des allocations familiales… À cette suggestion près, l’ordonnance ravit l’UMP, qui, par la bouche de Jean-François Copé, y a vu la confirmation de ses préconisations. Tandis que Claude Goasguen, l’un de ses députés parisiens, ironisait sur Twitter : « Décidément, je crois qu’on aurait dû mettre Didier Migaud comme Premier ministre à la place de Jean-Marc Ayrault. » Dans les rangs du PS, en revanche, certains s’agacent. « La Cour des comptes déborde un peu de son rôle », estime diplomatiquement Henri Emmanuelli. La Cour, tranche Marie-Noëlle Lienemann, « est devenue idéologique » puisqu’elle « s’érige en censeur du juste, du bien, et des choix à faire au lieu de se consacrer à l’évaluation objective des comptes et des règles ». Le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique souligne pareillement qu’elle « n’a aucune légitimité pour se prononcer sur les politiques macroéconomiques du gouvernement ».

Les missions de la Cour, définies à l’article 47-2 de la Constitution, consistent à contrôler l’action du gouvernement, ainsi que l’exécution des lois de finances et l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, à évaluer les politiques publiques et à contribuer à l’information du citoyen. Le code des juridictions financières la fait juge des comptes des comptables publics, dont elle peut mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire. Les lois organiques votées cet automne dans la foulée de la ratification du traité budgétaire européen (TSCG) lui ont confié en outre la certification des comptes de l’État et de ceux du régime général de la Sécurité sociale. Pas plus. Pourtant, il aura suffi que la Cour des comptes juge fantaisistes les prévisions de croissance du gouvernement pour que François Hollande annonce enfin une révision de ces objectifs. Et les mesures d’économies qu’elle suggère ont de grandes chances d’être reprises. Comme l’a été la hausse de la TVA, refusée pour 2013, mais déjà votée pour 2014. Au vu des textes qui la régissent, l’influence de la Cour auprès du gouvernement a tout d’une énigme si l’on oublie que, pour se conformer à la règle d’or inscrite dans le TSCG, le PS a imaginé confier à une structure non-élue, le Haut Conseil des finances publiques, la charge de veiller au respect des engagements de la France en matière de dette et de déficit. Cette structure, qui sera constituée mi-mars, sera présidée par le premier président de la Cour des comptes. Qui anticipe déjà son futur rôle de grand prêtre de l’austérité.

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