Être ou ne pas être…

Denis Sieffert  • 14 février 2013 abonné·es

Sous la Ve République, la position de parti de gouvernement n’a jamais été facile à assumer. Il paraît que l’expression « parti Godillot », du nom d’un fabricant de godasses militaires faites pour marcher au pas, a été inventée par des parlementaires gaullistes au début des années 1960. C’est dire la faible estime qu’ils avaient d’eux-mêmes. Députés et sénateurs socialistes vont avoir, au cours des prochaines semaines, plusieurs occasions d’échapper à cette appellation infamante. Malheureusement, avec le débat sur la réforme bancaire qui s’ouvrait mardi à l’Assemblée, l’affaire est mal engagée.

L’enfumage gouvernemental sur un dossier très technique a eu raison des velléités des députés désireux de « muscler » un texte qui n’a qu’un lointain rapport avec la belle promesse de François Hollande (voir l’article de Michel Soudais p. 8). On se souvient de la diatribe du candidat contre la finance, et de sa volonté affichée de séparer au sein des banques les missions de dépôt et les activités spéculatives. On en restera finalement à une simple « filialisation » des secondes. Encore celles-ci seront-elles soigneusement sous-évaluées par les banques elles-mêmes, qui n’entendent loger dans lesdites filiales que des activités correspondant à 1 % de leur chiffre d’affaires. Si bien qu’en cas de krach financier, les économies des citoyens ne seront pas vraiment protégées. Pour autant, cette réforme n’est pas tout à fait rien. Mais ce sont les Verts qui ont le plus contribué à la renforcer sur un point non négligeable : la transparence. Les banques devront désormais publier chiffres d’affaires et effectifs de leurs filiales établies dans les paradis fiscaux. Ce n’est certes pas la disparition des paradis fiscaux, mais c’est déjà ça. Comme on dit chez Findus, « faute de grive, mangeons du merle ». Moralité : on ne peut pas vraiment prétendre dans cet épisode que la fronde socialiste ait été particulièrement violente. Mais l’histoire immédiate va donner aux frondeurs une seconde occasion de briller. Et l’enjeu, cette fois, sera bien plus considérable. Il ne s’agira plus de réformer au mieux les activités bancaires, mais de sauver le droit du travail. La bataille ne sera plus offensive ; elle sera dangereusement défensive. Emmanuel Maurel, le chef de file de Maintenant la gauche, l’avait dit à Politis  [^2] ; il l’a redit samedi à l’occasion d’une journée de travail de son courant : l’accord Medef-CFDT sur l’emploi « n’est pas votable en l’état ». On ne reviendra pas ici sur le contenu d’un texte qui vise à faciliter les licenciements et l’allongement de la durée du travail. Il convient en revanche de s’attarder sur la méthode utilisée par le gouvernement. Celui-ci, on s’en souvient, a exercé sur les négociateurs une pression de tous les instants pour qu’ils aboutissent coûte que coûte, alors même que le rapport de force était déséquilibré. Les médias ont aussi, hélas, ardemment contribué à ce détournement de sens qui a consisté à privilégier la symbolique de l’accord pour mieux en oublier le contenu.

Aussitôt le texte ratifié par le patronat et la CFDT, et quelques autres organisations de moindre importance, le ministre du Travail, Michel Sapin, s’est empressé d’indiquer qu’une telle relique devait être conservée en l’état. Pas question que les parlementaires en changent une virgule ! L’argument était madré. Le gouvernement de gauche ne venait-il pas de redonner vie au dialogue social si longtemps méprisé par Nicolas Sarkozy ? L’ennui, c’est que ni la CGT ni FO n’étaient signataires, et que, même signé avec une plume en or, un mauvais accord reste un mauvais accord. À trois semaines de la présentation du texte au Conseil des ministres, la méthode gouvernementale pose aux parlementaires socialistes une redoutable question, quasi métaphysique : être ou ne pas être ? Institutionnellement, ils sont en position de force, car on ne voit pas très bien au nom de quoi les élus de la République pourraient être sommés d’obtempérer sans dire mot. Sur le fond, on a surtout le désagréable sentiment que le gouvernement a livré cette pauvre CFDT en pâture au patronat pour obtenir un résultat qu’il ne voulait pas assumer lui-même. Les mots « compétitivité » et « flexibilité », interdits pendant la campagne présidentielle, sont revenus en force dans le lexique de la gauche. Mais le gouvernement peut, à bon droit, faire valoir que c’est par la grâce d’une négociation entre partenaires sociaux. Lui, n’y est pour rien… Les parlementaires socialistes vont-ils avaler cette énorme couleuvre ?

Un troisième front s’ouvrira bientôt sur une autre promesse mal en point de François Hollande : l’interdiction des licenciements boursiers. Au moment où des salariés reprenaient ce mot d’ordre, mardi matin devant le siège de Goodyear France, le président de la République annonçait son intention de proposer un texte sur « la reprise des entreprises rentables ». Les Goodyear sauront faire la différence. Le moment venu, les parlementaires socialistes, en particulier ceux qui se réclament de la gauche du parti, auront-ils à cœur de déjouer cet autre piège ?

[^2]: Voir Politis n° 1238, débat Emmanuel Maurel & Christian Picquet.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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