Famille : Filiation, entre fiction et frictions

L’assistance à la procréation et la gestation pour autrui s’invitent dans les discussions autour du mariage pour tous et sèment la confusion. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Le point sur le débat.

Ingrid Merckx  • 7 février 2013 abonné·es

PMA et GPA : noms de codes du bazar qui agite l’Assemblée nationale depuis le 29 janvier. La procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui (les mères porteuses) se sont invitées dans le débat sur le mariage pour tous. Naturellement, puisque la filiation est l’enjeu principal des discussions, et malencontreusement, car elles sont venues ajouter de la confusion et offrir un boulevard aux homophobes. En effet, si l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels n’est pas sans lien avec le mariage, la GPA concerne aussi les hétérosexuels et soulève des questions juridiques et éthiques d’un autre ordre. La PMA pour les couples stériles est une pratique encadrée depuis 1994. L’interdire aux homosexuels reviendrait à introduire une discrimination dans leur mariage. En revanche, la GPA est interdite en France pour tout le monde, au nom de l’indisponibilité du corps humain.

  • 22 000 enfants naissent chaque année d’une PMA en France, soit 2,7 % des naissances. Deux procédés existent : l’injection avec donneur (IAD) ou la fécondation in vitro (FIV)Elle est interdite aux célibataires, contrairement à l’adoption. Elle est prise en charge à 100 %.

  • Le don de sperme (1 129 naissances en 2010) et d’ovocytes (188) est autorisé, de manière anonyme et gratuite.

  • 44 enfants nés de père français et de mère porteuse à l’étranger se sont vu refuser la nationalité française en quatre ans.

Sentant venir les blocages sur la filiation homosexuelle, le gouvernement a préféré « sortir » la PMA de la loi sur le mariage pour tous et l’intégrer à une prochaine loi sur la famille, au prix de cafouillages de calendrier et de dissensions internes. Les anti-mariage pour tous en ont profité pour se mobiliser sur le thème : un enfant = un père + une mère. Pour ne rien arranger, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a envoyé aux tribunaux, la veille de l’ouverture des débats à l’Assemblée, une circulaire rappelant qu’un enfant issu d’au moins un parent français pouvait bénéficier de la nationalité française – y compris donc s’il est né d’une mère porteuse à l’étranger. La chancellerie a eu beau garantir qu’il ne s’agissait pas d’une reconnaissance de la GPA mais d’un rappel à la loi, et le président de la République redire son opposition à cette pratique, le mal était fait. Quinze ans après la bataille du Pacs, le combat pour le mariage des personnes de même sexe (qui donne droit à l’adoption) se fait donc le théâtre d’affrontements transpartidaires sur la filiation. Certains craignent que ce soit un premier pas vers la PMA pour les couples de femmes et la GPA pour les couples d’hommes. Pour l’heure, la discussion sur la PMA serait reportée à l’automne – quand le Comité d’éthique aura rendu son rapport sur le sujet – et la GPA aux calendes grecques. Mais le débat a lieu quand même sur le mode : « Qu’est-ce qui fait famille ? »  « Et les droits de l’enfant dans tout ça ? », s’écrie Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny   (93), martelant son opposition à la PMA pour les homosexuelles et aux mères porteuses. « Notre pays se prépare à donner le feu vert à la fabrication artificielle d’enfants par des couples qui en passeraient commande à travers ces médecins qualifiés de sorciers de la vie dans les années 1980. On en est revenu […] à cette idée que l’enfant est un bien que les adultes peuvent commander soit naturellement soit scientifiquement. » Or, « la filiation d’un enfant lui appartient tout autant qu’à ses géniteurs », écrit-il sur son blog. « Il n’y a pas plus de droit à l’enfant pour les homos que pour les hétéros !, riposte Caroline Mécary, avocate spécialisée en droit de la famille et coprésidente de la Fondation Copernic [^2]. Et pourquoi ne parle-t-on d’enfant-objet que quand il s’agit de parents homos ? »

Pour Jean-Pierre Rosenczveig, on aurait dû reconnaître l’homoparentalité, soit la capacité des homosexuels à élever un enfant, mais sans créer de filiation, ou pire, d’après lui, des « fictions de filiation ». Et de faire le lien avec les 70 000 à 90 000 enfants nés sans père légal chaque année en France, ou sous X, et qui sont en mal d’origines. « Cela fait des années que je milite pour que la filiation soit établie par les deux parents.  » « Mais il n’y a jamais que des fictions de filiation, même chez les hétéros, réplique Caroline Mécary. De plus, à travers le mariage et la GPA, l’homoparentalité plaide justement pour la reconnaissance des deux parents. » En droit, la filiation n’est pas la reproduction, souligne-t-elle dans une tribune qu’elle cosigne avec le sociologue Éric Fassin et le juriste Daniel Borillo [^3]. Quand un couple hétérosexuel fait une PMA avec donneur, celui-ci reste anonyme et c’est le père d’intention, et non le géniteur, qui déclare l’enfant. En outre, l’époux n’est pas toujours le père biologique… C’est donc une illusion de reproduction naturelle que les naturalistes se retrouvent à défendre. Par ailleurs, l’adoption à titre individuel est possible depuis 1966. « Nous pensons qu’être parent, c’est s’engager à l’être… », déclarait la Fondation Copernic dès 2005 [^4]. « Pourquoi avoir recours à la médecine quand ce n’est pas nécessaire ? », interroge de son côté le généticien Jacques Testart. En tant qu’objecteur de croissance, il estime qu’on ne peut pas « consommer tout ce qui est proposé au motif que c’est possible techniquement. C’est vrai aussi des services médicaux ». Il est donc contre l’insémination artificielle avec donneur (IAD), aussi bien pour les homos que pour les hétéros. D’autant que les Secos (banques de gamètes et d’ovocytes) ont des pratiques « limites ».

Par exemple, elles sélectionnent le sperme en fonction de certains critères, comme le diabète, pour optimiser l’adéquation entre donneur et receveur… Sans nier les problèmes de droit que rencontrent les homoparents, Testart défend « la convivialité », soit des arrangements entre personnes qui se fréquentent. « Pas d’anonymat dans la procréation ! », soutient-il. La GPA, il y est opposé « pour des raisons politiques »  : impossible d’éviter la marchandisation de la mère comme de l’enfant. Dans les pays qui la pratiquent, les mères porteuses sont toujours de condition sociale inférieure à celle des parents. « La mère porteuse, ça n’est que de la matière ? Elle n’apporte rien ? », interroge aussi Jean-Pierre Rosenczveig. Reste que le débat sur la GPA n’est pas (encore) d’actualité. Aujourd’hui, il s’agit de reconnaître l’état civil des enfants qui en sont issus. En d’autres termes, leur accorder des droits, indépendamment des choix de leurs parents.

[^2]: L’Amour et la Loi , Alma, 2012.

[^3]: Le Monde , 7 novembre 2012.

[^4]: Homo-sexualité, mariage et filiation : pour en finir avec les discriminations , Syllepse, 2005.

Société
Temps de lecture : 6 minutes

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