Italie : Un scrutin incertain
Entre Berlusconi et de nouveaux mouvements populistes, les élections des 24 et 25 février pourraient ne pas dégager de majorité claire.
dans l’hebdo N° 1241 Acheter ce numéro
La loi électorale italienne, votée dans l’urgence par la majorité berlusconienne à quelques mois des élections de 2006, est si complexe que le constitutionnaliste transalpin Giovanni Sartori l’avait qualifiée de « porcellum » (du latin porcata, qui signifie « cochonnerie »). Afin d’assurer une certaine stabilité, un « bonus » est attribué à la coalition ou au parti arrivé en tête à la Chambre et lui garantit la majorité des sièges. Mais, au Sénat, ce même système de « bonus » est calculé par circonscription régionale. D’où une incertitude sur la possibilité de constituer une majorité sénatoriale – sans réaliser d’alliances entre des blocs auparavant opposés – tant l’électorat est aujourd’hui fragmenté. Et aucune chambre n’ayant la prééminence sur l’autre, le risque existe même, sans majorité, de devoir retourner aux urnes trois mois après les élections… Cinq principaux blocs sont aujourd’hui en lice. La droite, emmenée par un Silvio Berlusconi qui a fait son retour en politique, réunit la Ligue du nord, le Parti des libertés (du Cavaliere) et deux petites formations ouvertement néofascistes : La Destra et Casa Pound. Elle recueillerait, selon les sondages, un peu plus de 20 % des voix. Même si l’omniprésence de Berlusconi sur les plateaux de télévision continue d’accroître sa popularité…
Au centre-droit, emmenée par le très libéral président du Conseil sortant, Mario Monti, une coalition rassemble, outre une « Liste civique » de ce dernier, deux anciens alliés de Berlusconi : l’Union démocrate chrétienne et le parti Futur et liberté du « post-fasciste » Gianfranco Fini, devenu plus modéré. Elle obtiendrait environ 15 % des voix. Au centre-gauche, emmené par son président, Pierluigi Bersani, le Parti démocrate (PD) s’est allié sur sa gauche au parti de Nichi Vendola, Sinistra écologia e libertà (SEL : « Gauche écologie et liberté »). Ce dernier regroupe des anciens de Rifondazione comunista et souhaite empêcher le PD de trop regarder vers le centre de Mario Monti. Cette coalition obtiendrait la majorité à la Chambre puisqu’elle est donnée en tête, autour de 35 %. Quant à la gauche de la gauche, son leader est l’ancien magistrat antimafia de Palerme, Antonio Ingroia. Il a pris la tête d’une liste « Révolution civile », regroupant les deux formations communistes (Rifondazione et le petit Parti des communistes italiens), les Verts et le parti de l’ancien juge Di Pietro, Italie des valeurs. Une liste qui pèserait un peu plus de 5 %. Enfin, la grande nouveauté est le succès du Mouvement cinq étoiles, du comique Beppe Grillo. Franchement populiste, celui qui se veut le « Monsieur propre » de la politique italienne a un discours ambigu, à la fois ferme contre le mal endémique de la corruption, très écologiste (parfois plus radical que les Verts), mais avec des envolées contre les Roms et les immigrés. Coqueluche des sondages – qui le donnent autour de 20 % ! –, il parvient à fédérer beaucoup de mécontents des partis traditionnels mais aussi bon nombre d’électeurs de gauche, parmi les moins engagés. Ses listes sont donc d’abord un handicap pour le centre-gauche et la gauche d’Ingroia.
Le centre-gauche de Pierluigi Bersani semble bien placé pour remporter ces élections à la Chambre. Mais, à cause du Sénat, il risque de devoir s’allier avec la coalition de Mario Monti, afin d’éviter un nouveau scrutin et, surtout, le retour d’un Berlusconi en embuscade, loin d’avoir dit son dernier mot. Cette alliance serait quasi suicidaire pour une formation comme SEL. Très incertaine, la situation n’augure finalement rien de bon pour la gauche en général, et encore moins pour la coalition d’Ingroia, soumise une fois de plus au « chantage au vote utile » de la part du PD. Son leader, contrairement à son prédécesseur en 2008, le très pâle Walter Veltroni, a su habilement attirer sur ses listes (ou son allié SEL sur les siennes) des acteurs des mouvements sociaux ou des intellectuels souvent très à gauche, comme le fondateur de l’opéraïsme dans les années 1960, Mario Tronti (cf. Politis n° 1240), ou le sociologue Franco Cassano. Nombre de ces personnalités d’une gauche fragmentée n’ont d’ailleurs pas caché vouloir constituer, une fois élues, des groupes informels « transversaux » au sein du Parlement sur des questions précises. Une volonté séduisante mais qui risque de devoir se plier aux cruels impératifs de l’arithmétique des constitutions de majorités, diluant les programmes et les velléités de réformes dans un centrisme consensuel, incapable de résister aux diktats de l’idéologie néolibérale et aux exigences de l’Europe sur les déficits budgétaires.