Jean-Claude Mailly : « Un accompagnement des politiques d’austérité »

Selon Jean-Claude Mailly (FO), la philosophie du projet de loi est : la flexibilité, c’est maintenant ; les droits nouveaux, c’est demain, peut-être.

Thierry Brun  • 28 février 2013 abonnés

Très critique sur le contenu de l’avant-projet de loi qui sera présenté en conseil des ministres le 6 mars, le secrétaire général de FO appelle les parlementaires à en modifier les mesures les plus contestées.

Un avant-projet de loi transpose le contenu de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier, dit de « sécurisation de l’emploi ». Quelle est l’analyse de FO ?

Jean-Claude Mailly : Notre analyse n’a pas changé avec cet avant-projet de loi. Ainsi, le patronat a obtenu satisfaction sur les questions liées à l’accentuation de la flexibilité, avec notamment les accords dits de maintien dans l’emploi, une revendication essentielle déjà formulée du temps de Sarkozy quand on parlait des accords de compétitivité-emploi. Les accords de ce type ont toujours existé dans les entreprises. Mais le patronat a obtenu le retrait de dispositions du code du travail prévoyant que des salariés puissent refuser une modification de leur contrat de travail et que l’entreprise soit obligée de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) contenant des garanties pour les salariés.

Cet avant-projet de loi a cependant modifié certaines mesures de l’accord. Qu’en pensez-vous ?

Un large mouvement contre l’avant-projet de loi se prépare pour mardi 5 mars, à l’appel de la CGT et de FO, non signataires de l’accord. Les deux confédérations, rejointes par la FSU et Solidaires, ont appelé à des rassemblements, manifestations et arrêts de travail. À Paris, une manifestation est prévue à partir de 14 heures, de la place du Châtelet à l’Assemblée nationale.

Des associations, syndicats et partis de gauche réunis dans un collectif ont lancé le 19 février un appel unitaire intitulé : « Un ANI qui nous veut du mal » (qui peut être signé sur www.politis.fr).

Les délais des nouvelles procédures concernant les plans sociaux ont été revus, mais ils ne nous satisfont pas. L’accord expliquait que l’homologation d’un PSE devait arriver en début de processus ; l’avant-projet indique que celle-ci arrivera en fin de processus, ce qui paraît logique. Néanmoins, les délais dont disposeront les directions du travail pour valider et homologuer un PSE seront très courts. Si l’administration, déjà surbookée, n’a pas le temps de répondre, l’accord sera validé et les salariés seront sans protection. La modification la plus importante concerne la complémentaire santé. L’avant-projet a supprimé une revendication de la Fédération française des sociétés d’assurances, en particulier des gros assureurs, qui consistait à abandonner ce que l’on appelle la clause de désignation dans les accords de branche professionnelle. Avec le rétablissement de cette clause, les entreprises d’un secteur auront toujours l’obligation de recourir au même organisme assureur, ce qui permet aux branches de continuer de négocier des tarifs moins élevés, pour les salariés comme pour les entreprises, et de mutualiser et d’organiser la solidarité dans la branche.

Vous êtes cependant très critique sur l’ensemble de l’avant-projet de loi…

Si nous appelons à manifester le 5 mars, c’est à la fois contre le contenu de l’accord et contre sa transposition en loi. Les mesures concernant le PSE et le maintien de l’emploi et celles entraînant un risque d’affaiblissement des CHSCT  [comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. NDLR] sont destructrices de droits pour les salariés. Pour résumer, avec cet accord, la flexibilité, c’est maintenant ; les droits nouveaux, c’est demain, peut-être… Les droits dits nouveaux sont sous conditions et l’on n’est pas sûr qu’ils s’appliqueront. En revanche, les nouveaux processus de flexibilité s’appliqueront très rapidement. On ne peut pas analyser le texte soumis au Parlement sans parler du contexte général de mise en œuvre du pacte budgétaire européen. On entre dans la seringue de l’austérité et des rigidités économiques : il faut réduire les dépenses publiques et les dépenses sociales ; il faut ramener le plus rapidement possible le déficit public à 3 % du PIB. À partir de là, les variables sont essentiellement les dépenses sociales et la flexibilité. C’est donc un avant-projet d’accompagnement des politiques d’austérité, dans un contexte de crise profonde du système capitaliste.

Une large mobilisation est annoncée contre l’accord du 11 janvier. Qu’attendez-vous du Parlement ?

Pour moi, c’est une question de conception de la démocratie républicaine. Soit cet ANI nécessite des modifications législatives, comme c’est le cas ; soit il n’en nécessite pas, et par conséquent il ne s’applique qu’avec ceux qui l’ont signé. Si on veut le généraliser, on devra demander ce que l’on appelle une procédure d’extension. Dans le cas présent, des modifications législatives sont prévues sur certains points, ce qui veut dire qu’il faut un projet de loi qui doit faire l’objet d’un débat au Parlement. Je n’accepte pas l’idée que les députés n’aient pas le droit de toucher à cet accord. J’ai expliqué aux parlementaires que ce que l’on retiendra dans les prochaines années, ce n’est pas l’accord du 11 janvier, mais la loi. Ils n’ont pas à s’automutiler sur leurs responsabilités. Sinon, cela signifie que ce sont le patronat et les syndicats qui font la loi dans le domaine social. Cela s’appelle le corporatisme politique.

Travail
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées
Travail 15 novembre 2024 abonnés

« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées

Les risques professionnels sont généralement associés à des métiers masculins, dans l’industrie ou le bâtiment. Pourtant, la pénibilité des métiers féminins est majeure, et la sinistralité explose. Un véritable angle mort des politiques publiques.
Par Pierre Jequier-Zalc
Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement
Social 9 novembre 2024

Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement

Les employés du studio sont en grève. Ils mettent en cause une gestion fautive de la direction et exigent l’abandon du plan, révélateur des tensions grandissantes dans le secteur du jeu vidéo.
Par Maxime Sirvins
Chez ID Logistics, un « plan social déguisé » après le départ d’Amazon
Luttes 29 octobre 2024 abonnés

Chez ID Logistics, un « plan social déguisé » après le départ d’Amazon

Depuis plus de deux semaines, les salariés d’un entrepôt marseillais d’une filiale d’ID Logistics sont en grève. En cause, la fermeture de leur lieu de travail et l’imposition par l’employeur d’une mobilité à plus de 100 kilomètres, sous peine de licenciement pour faute grave.
Par Pierre Jequier-Zalc
Mort de Moussa Sylla à l’Assemblée nationale : le parquet poursuit Europ Net
Travail 23 octobre 2024 abonnés

Mort de Moussa Sylla à l’Assemblée nationale : le parquet poursuit Europ Net

Selon nos informations, le parquet de Paris a décidé de poursuivre l’entreprise de nettoyage et ses deux principaux dirigeants pour homicide involontaire dans le cadre du travail, plus de deux ans après la mort de Moussa Sylla au cinquième sous-sol de l’Assemblée nationale.
Par Pierre Jequier-Zalc